It's only a mere flesh wound!

[DOSSIER] Virtua Fighter

En 1993, alors que les Dire Straits se séparaient et que Frank Zappa succombait à son cancer de la prostate, le jeu-vidéo, lui, se préparait à subir un changement radical, car c’est cette année que Virtua Fighter sortit en salle d’arcade. Mais pour bien comprendre le pourquoi du comment, il faut revenir quelques temps en arrière.

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Dans les années 80-90, SEGA se positionnait comme l’un des leader du marché de l’arcade, grâce notamment au System 16, qui servit d’architecture de base pour la Mega Drive. En 1991, SEGA se lance dans l’architecture 32 Bits, avec le System 32. Le succès est modéré, mais les quelques jeux sortant dessus reçoivent des critiques élogieuses, que ce soit sur la technique ou le gameplay. C’est à ce moment là que Yu Suzuki fait son entrée. À ce moment là, le bonhomme a déjà un CV bien rempli avec des jeux comme Space Harrier, Power Drift ou encore Out Run, mais il souhaite aller encore plus loin.

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La borne de Hang-On

Le défi de taille pour toute compagnie de jeux-vidéos, c’est la 3D. Peu l’utilisent, et de toute façon, la 2D a encore de beaux jours devant elle. Mais en arcade, la technologie avance très vite, et il faut prendre ses concurrents d’avance pour souhaiter avoir un minimum d’attention. L’idée d’intégrer de la 3D en arcade ne date pas d’hier, et Namco, grand concurrent de SEGA, avait déjà proposé cette idée dans Starblade, un Shoot them’up sorti sur son System 21. Mais la technologie ne suit pas, et bien que le System 32 soit un petit bijou à la pointe de la technologie, le constat est très simple: faire un jeu-vidéo en 3 dimensions sur ce support, ça relève de l’impossible.

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SegaSonic, l'un des jeux du System 32, se jouait au Track Ball, la technologie derrière vos souris analogiques

Mais Yu Suzuki, l’impossible, ça ne lui fait pas peur. Lui qui avait déjà œuvré sur Hang On où le joueur devait enfourcher la moto de la borne pour pouvoir déplacer le véhicule à l’écran, il va tenter de faire plus fort. La 3D s’impose comme un choix évident, car elle offre de nouvelles perspectives dans le game-design, mais surtout parce qu’un jeu 3D, ça en jette. Dans un secteur où le choix de la borne se fait essentiellement au premier regard, se démarquer des autres fait rapidement grimper les points de charisme dans la balance.

Notre développeur va donc proposer l’idée d’aller chercher du côté de la Digital Electric Aerospace, compagnie spécialisée dans le développement de simulations pour la NASA. L’idée surprend, mais Yu Suzuki semble certain de la direction à prendre.

Personne chez SEGA ne me croyait lorsque j’ai dit que je voulais acheter cette technologie pour nos jeux. À l’époque, General Electronic Aerospace (ou Aerial & Space), CRC et Evans and Sutherland étaient les trois compagnies majeures du secteur, notamment en matière de simulateur virtuel. L’URSS s’est effondrée et le gouvernement en place n’a pas dépensé l’argent comme cela devait l’être pour l’achat de matériel militaire. Par conséquent, ces entreprises ont dû trouver d’autres moyens de revenus.

Les bases du SEGA Model 1 sont alors posées.

Pour voir un peu ce que la technologie embarque sous le capot, Yu Suzuki demande à ses équipes de reproduire le Daytona International Speedway en incorporant des Formule 1, afin de respecter la géométrie. Le résultat séduit les dirigeants de SEGA. Et le matos est adapté pour suffire au besoin de SEGA AM2.

Le Model 1, c’est avant tout un processeur NEC V60, le même utilisé que pour le System 32 et un Fujitsu TGP pour gérer la géométrie. Côté son, on retrouve le Motorola 68 000, déjà utilisé pour la Neo Geo. Le nombre de polygones affichables à l’écran est ahurissant, mais il faut maintenant un jeu qui va faire office de vitrine technologique.

L’équipe continue d’avancer sur son jeu de course, mais les débuts dans la 3D sont difficiles, les développeurs ne connaissant que très peu la technologie. Avec les conseils de General Eletronic Aerospace, l’équipe arrive à trouver des compromis et des astuces techniques pour parfaire le travail.

En cette belle année 1992, SEGA lance Virtua Racing, le premier jeu du Model 1. Virtua Racing reçoit des critiques dithyrambiques. Namco tente de rattraper son concurrent avec le Namco System 22, sur lequel verra le jour Ridge Racer. Avec ses quelques 1200 unités vendues pour Virtua Racing, la réaction de SEGA ne se fait pas attendre, il faut concentrer les efforts sur ce support.

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Pendant ce temps-là chez AM2, la demande express de Hayao Nakayama, PDG de SEGA, pour faire un jeu de baston capable de rivaliser avec Street Fighter II met tout le monde d’accord sur la suite des évènements: il va falloir faire de la baston en 3D. L’équipe teste encore, mais le travail sur Virtua Racing rend la chose plus aisée.

J’ai profité de ce jeu de voiture pour faire des expériences sur la représentation du corps humain en 3D. Par exemple, quand la formule 1 s’arrête aux stands, on peut voir des techniciens venir changer les roues. Ces personnages ont été une sorte de test qui a abouti à Virtua Fighter.

L’année suivante, Virtua Fighter verra le jour. Si Virtua Racing avait servi de tâtonnement pour la team AM2, Virtua Fighter relève un tout autre niveau de maîtrise. Chaque personnage est finement détaillé, et les animations, bien qu’irréalistes, témoignent des connaissances de l’équipe en matière d’arts martiaux. Les mouvements sont plus lents que dans ses homologues 2D, mais les animations sont extrêmement fluide.

Pour obtenir de telles animations, j’ai fait prendre à tous mes designers des cours d’art martiaux. Si vous n’êtes pas en mesure d’imaginer les mouvements dans la vraie vie, vous ne pouvez pas dessiner et modéliser les personnages dans un jeu. D’ailleurs, ce n’était pas uniquement destiné aux designers. On a réuni tous les employés du bureau pour les faire participer à un tournoi réel d’arts martiaux.

Yu Suzuki ira même jusqu’à aller en Chine pour apprendre à pratiquer les arts martiaux.

Le travail n’a pas été de tout repos. Garder une cadence de 60 images par seconde n’est pas aisé. Le processeur, bien que plutôt puissants pour l’époque, ne disposait pas de suffisamment de mémoire vive pour obtenir un taux de rafraîchissement satisfaisant. Mais Yu Suzuki peut compter sur les membres de l’AM2 pour apporter leur expertise, comme Daichi Katagiri. Yu Suzuki, voyant ce jeune employé roxxer sur Street Fighter II le convoque à plusieurs reprises pour rendre Virtua Fighter plus divertissant, et comprendre un peu mieux ce qui se trame derrière un round de versus fighting.

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Mais la comparaison avec Street Fighter II s’arrête là, car l’équipe souhaitait se démarquer du genre Versus Fighting 2D. C’est dans cet esprit là qu’il fut choisi de limiter le nombre de boutons à 3, afin de rendre le jeu plus accessible.

Pour ce jeu, en plus de l’ombrage de Lambert utilisé habituellement pour les jeux 3D de l’époque, il a été décidé de donner des ombres dynamiques pour chaque personnage. Pour ce faire, les modèles 3D des personnages sont projetés au sol en temps réel. Cette technique, bien que gourmande en ressource, rend les personnages beaucoup plus réalistes. C’est d’ailleurs cet usage massif de polygones qui poussera l’équipe à ne pas modéliser les décors.

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Pour ce qui est des personnages, beaucoup sont inspirés de véritables personnes. Akira se base sur les mouvements du maître d’arts martiaux que Yu Suzuki a rencontré en Chine, et Jacky se base sur Bruce Lee. Akira n’a d’ailleurs pas toujours eu ce design. Au départ, il s’agissait de Siba, combattant originaire d’Arabie Saoudite se battant avec un sabre. Il sera remplacé par Akira, Yu Suzuki lui préférant un style de combat proche du Hakkyoku-ken.

Siba sera quand même jouable dans Fighters Megamix sur Saturn.

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Siba est à gauche

Virtua Fighter se joue comme dit précédemment à 3 boutons, un pour le coup de poing, un pour le coup de pied et un pour la garde. Les combats se déroulent en 2 rounds dans lequel, comme dans quasiment chaque Versus Fighting, il faut réduire à zéro la barre de vie de l’adversaire. Les combattants s’affrontent dans des arènes en 3 dimensions. L’arène est délimitée. Si l’un des personnages dépasse ces limites, il sera déclaré hors-ring et le round sera gagné par son adversaire.

Le roster se compose de 8 personnages:

- Sarah Bryant, une étudiante américaine

- Akira Yuki, un combattant aguerri

- Pai Chan, une star de films d’arts martiaux

- Jacky Bryant, conducteur en compétition automobile

- Kage Maru, un Ninja du clan Hakagure

- Lau Chan, un maître d’art martiaux

- Wolf Hawkfield, un catcheur canadien

- Jeffry McWild, un pécheur australien

Plusieurs modes de jeu sont disponibles: un mode arcade et un mode versus. Dans le mode arcade, il faudra défaire une série d’ennemi avant d’arriver en face-à-face avec le boss final, Dural. Ce dernier a pour particularité de réunir les meilleurs coups des différents personnages.

La sortie de Virtua Fighter provoque des émules. Le jeu marquera les joueurs grâce à son gameplay, ses graphismes et son réalisme. Les critiques salueront toutes le soin apporté au jeu. Rapidement, un portage s’impose. Et si la Mega Drive ne peut pas faire tourner Virtua Fighter, le projet Neptune, l’ancien nom du 32X, et la Saturn le feront. Le portage 32X sera développé par la même équipe derrière la version Mega Drive de Virtua Racing, et il servira de vitrine technologique pour ce support. Conservant une bonne fluidité et n’étant pas amputée du contenu original, la version 32X est souvent considérée par les fans comme la meilleure adaptation sur console de Virtua Fighter. Le portage Saturn, bien qu’identique à la version arcade séduira bien moins, malgré des ventes très satisfaisantes. La faute à un manque d’amélioration et un retard technique laissant de l’avance à Namco.

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Le portage 32X est une véritable prouesse technique

En 1995 sort une nouvelle version de Virtua Fighter sur SEGA STV, cette fois-ci développé par l’AM1, mettant à jour les graphismes et améliorant l’équilibrage. Baptisée Virtua Fighter Remix, elle sera adaptée sur Saturn la même année. Aux États Unis, le jeu était distribué gratuitement à tout possesseur de Saturn, ce qui contribua à son succès.

Les chiffres de ventes pousseront SEGA et l’AM2 à continuer dans le développement de jeu 3D. Avec des titres tel que Virtua Cop, Fighting Vipers, Virtua Tennis et Virtua Fighter 2, SEGA s’impose comme l’un des leader de l’arcade des années 90. Le succès de ces jeux donnera raison à l’audace de Yu Suzuki.

Virtua Fighter aura le droit à de nombreuses suites. Le deuxième épisode intégrera de la capture de mouvement pour ses personnages, et deviendra le jeu le plus vendu de la Saturn. Le troisième sera le fer de lance de la Dreamcast, et les autres épisodes rencontreront un grand succès critique. Divers spin-off seront développés en parallèle de la série canonique, comme un anime, et deux RPG. L’un, Virtua Quest, sorti sur PS2 et Gamecube uniquement au Japon et aux USA, et l’autre, Virtua Fighter RPG, qui deviendra Shenmue.

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Shenmue, longtemps prévu pour Saturn, possède de nombreux points communs avec Virtua Fighter, notamment les techniques d'arts martiaux, directement inspirés du Hakkyoku-ken

Beaucoup créditent Virtua Fighter en tant qu’inspiration, comme chez Sony, lors de la création de la PlayStation, et la team ICO. Certains des membres de l’équipe responsable du premier Virtua Fighter sera embauchée par Namco pour bosser sur un nouveau jeu de baston en 3D: Tekken.

Aujourd’hui, l’avenir de la série n’est pas encore certain. Quelques jeux mobiles sortent de temps à autres, mais rien de concret n’a été annoncé sur les épisodes principaux. Yu Suzuki, de son côté, ne souhaite plus s’occuper de Virtua Fighter, et continue son chemin avec SEGA, mais aussi Koch Media, avec le très attendu Shenmue III.

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Sans oublier le remaster des deux premiers volets, cette fois-ci directement édités par SEGA :top:

Allez Yu Suzuki, on compte sur toi pour nous pondre un chef d’œuvre :top: