PlatinumGames et Nintendo c’est une histoire d’amour qui dure depuis près de dix ans et qui a commencé dès le premier jeu du studio japonais : MadWorld, une exclusivité Wii stylée et inoubliable sortie en 2009. Depuis, le studio, réunissant d’anciens développeurs de chez Clover, mythique filiale de Capcom à qui l’on doit Okami, s’est imposé comme un des grands studios japonais avec des productions très différentes comme Vanquish, The Wonderful 101, Nier : Automata ou encore et surtout Bayonetta. Pour autant, ces derniers temps, le studio a eu tendance à accumuler les déconvenues (avec notamment l’annulation de Scalebound) et à se disperser dans le développement d’obscures jeux mobiles et de jeux de commandes peu ambitieux et réussis (comme La Légende de Korra et Teenage Mutant Ninja Turtles : Des mutants à Manhattan.) Quant à la participation du studio au développement de StarFox Zéro, elle s’est soldée par un échec cuisant, une légende racontant même que certains joueurs seraient encore bloqués dans le niveau tutoriel du jeu, tortillant le GamePad dans tous les sens, les yeux exorbités, sans arriver à comprendre ce qu’il faut faire… Alors autant dire, qu’en attendant la sortie de Bayonetta 3, toujours en développement sur Switch, on avait des doutes sur ce que pouvait donner Astral Chain, une nouvelle IP développée là encore en exclusivité pour la Switch et qui avait tout du jeu de commande conçu pour alimenter le catalogue de la console de Nintendo…
Chaîne de vie
Cependant dès les premières minutes du jeu, les doutes s’estompent tant on se retrouve embarqué dans une aventure très rythmée et très cinématographique, parfaitement calibrée et pensée dans ses moindres détails qui confirment nos premières bonnes impressions. Que ce soit l’histoire du jeu, ponctuée de rebondissements, ou les graphismes façon manga, Astral Chain a véritablement bénéficié d’un soin tout particulier et c’est un vrai plaisir de gamer de le découvrir, surtout que le jeu se renouvelle sans cesse jusqu’à la fin. Alors, on ne sait pas si c’est l’influence de Nintendo qui avait déjà fait des merveilles sur Bayonetta 2 (version Wii U- la version Nintendo Switch ayant malheureusement été dénaturée par la volonté de baisser à tout prix la difficulté du jeu) mais on sent vraiment que le jeu a été peaufiné de façon à ce qu’il ne puisse pas être pris en défaut. Pourtant, le titre aurait facilement pu être indigeste tant il mélange des genres et mêmes des gameplays très différents...
Une aventure pleine de surprises
On passe en effet sans transition d’une scène intimiste et tragique entre deux personnages à une séquence diablement spectaculaire dans laquelle un monstre géant façon kaiju eiga escalade un building en déglinguant les hélicoptères qui virevoltent autour de lui… Ou d’une poursuite à moto trépidante à la recherche tranquille de la maman d’une petite fille perdue dans la cité… Ou encore, d’une phase d’enquête ou l’on doit réunir des indices en inspectant une scène de crimes à des combats stylisés entre des créatures démoniaques et des robots ! Et le plus étonnant c’est que tout ça fonctionne très bien sans que le jeu n’ait besoin de jouer la carte du second degré permanent façon Deadpool II avec un clin d’œil appuyé et une blague déplaisante toutes les deux secondes… D’ailleurs, Astral Chain adopte un ton plutôt sérieux même s’il est parsemé de petites pépites d’humour nonsensiques (très « platinumgamesesque ») totalement improbables qui débarquent souvent à des moments totalement inattendus notamment avec la mascotte Flappy.
Les développeurs ont reconnu s’être inspiré des « sentaï » de type Ultraman et Goranger pour créer leur jeu et il faut reconnaître que l’on n’en est pas loin surtout lorsque l’on voit les petites chorégraphies des deux héros avant chaque combat, digne de France Five ! Et que dire de certaines Chimères et de certains ennemis "bizarres" qui débarquent parfois d'on ne sait où et qui ressemblent à de gros "machins" en caoutchouc avec un bonhomme en sueur à l'intérieur ! A ce propos, le bestiaire (qui a tendance à se répéter) est très éclectique et part véritablement dans tous les sens. Certaines créatures ont une classe folle et pourraient facilement se retrouver face à Bayonetta alors que d 'autres semblent s'être trompé de jeu (genre les grosses limaces- mais qui diable a eu cette idée dans l'équipe de développement ?)
Deux héros pour le prix d'un
Contrairement à la plupart des jeux, Astral Chain ne met pas en scène un héros mais deux : des jumeaux, un frère et une sœur, nouvelles recrues d'une unité d’élite spéciale nommée NEURON. Pour autant, le jeu ne permet d'en diriger qu’un des deux (le garçon OU la fille) qu’il faut choisir en préambule sachant que le choix est définitif et que le personnage (frère ou sœur) délaissé sera présent et aura un rôle à jouer dans le jeu avec une évolution, des aventures en parallèle, etc. On regrettera d’ailleurs qu’on ne puisse passer de l'un à l'autre ou qu'un autre joueur ne puisse pas diriger le second personnage délaissé, en local ou en ligne, les deux personnages étant régulièrement amenés à avancer ensemble… Il y a bien un mode deux joueurs en coopération mais il est pour le moins curieux et ne concerne pas les jumeaux... On regrettera aussi que l’on ne puisse personnaliser que son personnage (en choisissant sa coupe et sa couleur de cheveux, sa couleur d’yeux, de peau, lui ajouter des signes distinctif, etc...) et pas son jumeau, ce qui créé parfois un drôle de décalage dans les cinématiques...
Un univers SF très réussi
L’histoire d’Astral Chain se déroule dans un futur pas si lointain ou l’humanité se retrouve au bord de l’extinction suite à l’invasion de mystérieuses créatures échappées d’une autre dimension... Nommées Chimères, ces monstres redoutables engendre la peur et le chaos en surgissant à n’importe quel moment pour commettre toutes sortes de méfaits et notamment pour enlever des humains afin de les corrompre et de les transformer en monstres… De tailles et de formes diverses, les Chimères sont d’autant plus cauchemardesques qu’elles sont invisibles à l’œil nu et donc très difficile à repérer et à combattre…
Retranchée sur une île artificielle au sein de l’Arche, une cité gigantesque, la population semble réellement démunie face à de telles créatures mais heureusement, elle peut compter sur l’unité d’élite NEURON composée d’hommes et de femmes surentraînés qui sont les seuls capables de voir les Chimères mais aussi de les poursuivre jusque dans leur dimension pour les affronter… Il faut dire qu'en plus de leur équipement spécial, les membres de NEURON possèdent une arme ultime : la Légion, en fait une Chimère reconditionnée et prise au piège dans une armure spéciale qui, enchaînée à un officier en devient son prolongement pour ne pas dire son partenaire.
Un gameplay original
La Légion, c’est l’une des grandes originalités d’Astral Chain et c’est autour d’elles que la majorité des mécanismes de jeux ont été créés aussi bien pour les combats que pour résoudre différentes énigmes et même pour progresser dans le jeu. Présentée comme une arme, en réalité la Légion est quasiment un second personnage à diriger en plus du sien. Et autant prévenir qu’il faudra forcément un peu de temps pour réussir à bien la maîtriser mais aussi pour comprendre toutes les subtilités du gameplay surtout que si certains ennemis peuvent être terrassés de différentes façons (avec ou sans Légion), d'autres au contraire demandent une technique particulière, et si on ne la maîtrise pas, le combat peut s’éterniser...
Un gameplay à apprivoiser
Pourtant, à priori rien de bien compliqué. Notre héros/héroïne se dirige au stick gauche avec un bouton d’attaque, un autre d’esquive et la possibilité de changer d’arme à la volée (flingue, épée…) et d’utiliser des objets (de soin, de boost, etc.) Quant à la légion, on peut l’invoquer n’importe quand, son utilisation étant liée à une jauge qui se vide tant qu’elle est active. Lors des combats, la légion attaque automatiquement les monstres à sa portée (ou celui que l'on cible) mais on peut aussi la diriger indépendamment du héros, avec le stick droit en se rappelant que la légion est enchaînée au héros et tenue comme un chien en laisse. Une limitation qui peut aussi devenir un atout lorsque la chaîne est utilisée en combat pour attacher les ennemis ou pour les envoyer valdinguer dans le décor. C'est d'ailleurs ce genre de petite subtilité qui permet véritablement au joueur de s'approprier le gameplay du jeu pour jouer comme il le souhaite. Au départ, le joueur ne dispose que d’une seule Légion mais très vite, il en récupère d’autres qui ont chacune leurs spécificités dont une évidente et les autres à acquérir au fil de l’aventure grâce à un arbre de compétence à modeler à sa convenance.
Il y a ainsi la Légion Epée, qui est notamment parfaite pour le corps à corps mais qui sert aussi pour atteindre des endroits inaccessibles, la Légion Arc qui peut attaquer de loin et tirer des flèches, la Légion Poing qui est très forte et peut soulever de gros objets ou encore la Légion Bête à l’odorat très développé et qui peut servir de monture… Evidemment, tout l’intérêt du jeu consiste à passer de l’une à l’autre en fonction des situations et des ennemis rencontrés- ce qui se fait très facilement en pressant un simple bouton. Pour autant, il arrivera parfois que durant les combats, en fonction des environnements et des ennemis, on se retrouve à marteler sa manette sans comprendre vraiment ce qu'il se passe. La faute à une caméra capricieuse et à une visibilité pas toujours top (un peu comme dans le premier Bayonetta.) Il faut dire aussi qu'entre diriger son personnage au stick droit et sa légion au stick gauche- à moins que ce ne soit l'inverse, on est parfois un peu perdu ! Il faudra donc forcément un temps d'adaptation pour vraiment bien avoir le jeu en main et en comprendre toutes les subtilités. Pour faciliter le voyage, et le rendre plus convivial, certains seront peut-être tentés de jouer à deux joueurs- une possibilité offerte par le jeu mais vraiment étrange puisque dans ce cas là, la Légion deviendra véritablement un second personnage puisque le joueur 1 dirigera le héros/héroïne tandis que le joueur 2 s'occupera des Légions. Une drôle d'idée qui trahit le gameplay du jeu et qui, à moins de jouer avec son frère siamois, pourra causer de graves disputes devant l'écran de sa télé... Après, si vous voulez finir dans la rubrique Faits Divers" de votre journal en local- en participant en plus à propager l'idée que les jeux vidéo rendent c** et violent, c'est vous qui voyez...)
De toute façon, même en jouant seul vous pourrez parfois être pris d'accès de rage notamment dans les niveaux se déroulant dans l'autre dimension ou il ne sera pas rare de tomber dans le vide, parfois plusieurs fois de suite, sans pouvoir rien faire... Heureusement Astral Chain n'est pas un jeu punitif et en fonction du niveau de difficulté choisi, et des différents checkpoints activés, il sera difficile de réellement se retrouver sur le carreau et même de voir un game over.
Action / Réflexion
A première vue, Astral Chain est un jeu d‘action trépidant... Pourtant, on se rend compte assez vite que la narration est un élément très important du jeu tout comme l'aspect réflexion que l'on retrouve un peu partout et cela même durant les combats ou en fonction des ennemis, il faut utiliser les Légions et les armes adéquates. D'ailleurs, une option permet carrément de se mettre en "combat automatique" de façon à se concentrer uniquement sur l'histoire et le côté investigation du jeu ! Il est vrai qu' Astral Chain renferme de nombreuses phases d’enquêtes ou il faut scanner son environnement et farfouiller partout un peu comme le héros du film Blade Runner qui enquête en regardant à la loupe tous les détails d'une photo... Il faut parfois faire des recherches en interrogeant le moindre PNJ afin de résoudre des mystères et des énigmes. Certaines sont des passages obligés, d'autres sont des quêtes facultatives. A chaque fois, cependant rien de très compliqué même s'il faudra veiller à suivre le chemin voulu par les développeurs pour progresser sous peine de tourner en rond. C'est d 'ailleurs un petit défaut du jeu : si au cours d'une enquête vous devez, par exemple, retrouver une personne cachée dans la foule, et que, par déduction vous devinez qui et où elle est, vous ne pourrez pas allez la trouver ni lui parler- même en passant à côté d'elle; vous serez obligé de récolter tous les indices comme le jeu vous le demande. Impossible d'aller plus vite que la musique. Astral Chain est définitivement un jeu très dirigiste.
Pour autant, le jeu est aussi bourré de missions secondaires et de sous quêtes à entreprendre- certaines ne pouvant être réussies qu'en retournant dans le niveau une seconde fois. Parmi les "sous quêtes" de base, il y a la matière rouge uniquement visibles par les Légions à nettoyer ou encore les canettes de soda à ramasser et à recycler. Il y a aussi des chats égarés à sauver et à câliner ! Et tout un tas de petits services à rendre à la population.
PlatinumGames fait son cinéma
Astral Chain est un jeu très cinématographique qui déploie une histoire savamment écrite impliquant énormément de ramifications et de personnages secondaires et dont le background a été vraiment bien travaillé. Le nombre de personnage différents est d'ailleurs assez incroyable surtout que la plupart ont droit à un doublage voix d'excellente qualité (en japonais ou en anglais) renforçant une bande son au diapason- c'est le cas de le dire. Et si l’intrigue n’évite pas toujours les clichés inhérents au genre SF (avec ses monstres qui ne sont pas forcément ceux que l'on croit...) en passant parfois par quelques séquences attendues, elle se laisse néanmoins suivre avec suffisamment de gourmandise pour que l’on ait envie d’en découvrir toujours plus. Surtout que visuellement, le jeu est vraiment très beau et cela aussi bien en mode télé qu'en mode portable. Là encore, les développeurs ont pris le temps de créer un univers fantastique cohérent et digne d’un film de science-fiction. Astral Chain est d‘ailleurs bourré de références. Outre Blade Runner on pense à différents films comme Robocop, Alien et Aliens : Le Retour, Total Recall ou encore Avatar mais aussi à de très nombreux jeux vidéo comme Xenoblade, Bayonetta, Vanquish, Resident Evil ou, plus surprenant à Disaster, un classique de la Wii dans lequel on doit survivre et sauver des personnes de grandes catastrophes et dans lequel on retrouve les mêmes séquences de courses... On pourrait aussi citer Phoenix Wright pour le côté enquête et même, par certains côté, Metroid !
Astral Chain est un jeu très complet qui dispose d'une belle durée de vie qui peut facilement être multipliée par deux si vous vous mettez en quête de farfouiller dans tous les coins. C'est un jeu en capacité de plaire à un très large public à condition bien sûr d'adhérer à son concept qui justement brasse large...