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Nintendo : Au-delà des Apparences - Réussite Critique et Réussite Commerciale : Okami et le succès d'estime

Par babidu - Le 09/06/2023 à 08:00

Derrière les chefs d’œuvres de Nintendo et leurs univers incroyables se cachent des secrets de fabrication, des processus de développement créatif et des choix de design qui ont permis à Nintendo de devenir aussi intemporelle qu'éternel. Dans Nintendo : Au-delà des Apparences, nous allons explorer l'univers de Nintendo au-delà des apparences et découvrir les éléments cachés qui ont permis à cette société de jeux vidéo de marquer l'histoire de l'industrie du jeu.

Pour analyser le succès d'un jeu vidéo, il faut bien séparer deux aspects de sa performance. Tout d'abord, un jeu étant avant tout considéré comme un bien de consommation, il faut considérer ses ventes. Ensuite, un jeu vidéo peut aussi être considéré comme une œuvre d'art, auquel cas celui-ci se retrouve confronté à la critique des joueurs (qu'ils soient de la presse ou non) et à leurs sensibilités. Cet article n'étant pas là pour débattre de la véracité de l'affirmation « Le jeu-vidéo est un art », nous allons utiliser notre privilège d'auteur pour partir de notre point de vue sur la question dans l'article qui va suivre.
Pour nous, le jeu vidéo est un média, il est capable de concevoir des objets de consommation grand public comme des œuvres d'art, à l'instar de tous les autres arts classifiés ou non dans la classification des arts. Dans ce cas, il n'est ni faux de considérer que le jeu vidéo est le 10e art, ni de considérer que Fifa 2023 n'est pas une œuvre d'art.

En ce qui concerne la réussite d'un jeu sur le plan commercial, il existe plusieurs facteurs déterminant celle-ci. Le nombre de ventes du jeu, ce nombre de ventes corrélé au budget qui a été nécessaire pour le produire et enfin le nombre de ventes du jeu corrélé aux ventes de la plateforme qui l'accueille. Ce nombre de vente d'un jeu mis en rapport du nombre de ventes de la console qui l'accueille est particulièrement pertinent si ce jeu est une exclusivité sur celle-ci ou une exclusivité de l'entreprise possédant la plateforme. On parle alors de taux d'attachement pour le nombre de jeux achetés par possesseurs de plateformes (la Nintendo Switch possède par exemple actuellement un taux d'attachement de 7,4 jeux par console vendue).
Lorsqu'un jeu se vend tellement bien qu'il fait lui-même vendre les plateformes sur lesquelles il est disponible en exclusivité, on parle alors de « Killer App » en anglais et d'« Application Phare » en français.
The Legend of Zelda : Breath of the Wild représente une application phare pour la Nintendo Switch puisque son taux d'attachement est de 23,77 %, ce qui signifie que près d'un tiers des acheteurs de Nintendo Switch ont acheté The Legend of Zelda : Breath of the Wild pour jouer sur leurs consoles).

La réussite commerciale d'un titre se calculant aussi en rentabilité, nous pouvons partir du principe qu'un jeu donnant lieu à une suite ou à la continuité de sa saga est généralement rentable si l'on fait le rapport entre son budget de développement et le bénéfice de ses ventes pour son éditeur. Ces données n'étant généralement pas partagée par les éditeurs, nous ne pouvons que nous baser sur la donnée « le jeu donna-t-il lieu à une suite ou a la continuité de son univers ?» pour calculer sa rentabilité. Bien que cette méthode possède bien des failles, il faut admettre que rare sont les jeux infructueux à posséder une suite.
Le budget d'un jeu pouvant aussi évidemment varier selon ses ambitions et selon le pays dans lequel celui-ci voit le jour, nous ne pouvons pas connaître précisément le succès commercial d'un jeu tant que les développeurs ou les éditeurs dudit jeu ne nous communiquent ces informations officiellement. Ainsi la réussite commerciale d'un titre ne peut souvent qu'être estimée par nos soins, nous pouvons néanmoins considérer qu'un jeu dépassant le million de vente est une réussite ou qu'un jeu connaissant une suite, un remake ou la continuité de son univers n'a pas déçu les espérances de ventes de ses éditeurs ou de ses développeurs, même si cette estimation fera l'objet d'une partie dédiée de cet article avec quelques contre-exemples.

Concernant la réussite critique d'un jeu, c'est une donnée bien plus facile à déterminer. En effet, nombreux sont les indicateurs d'appréciation de qualité des jeux et ici sur Nintendo-Master nous possédons le nôtre sous la forme d'un barème de notes allant de 0 à 10 (avec des demi-points). Ce barème de notes est visible en cliquant-ici.

D'autres indicateurs sont aussi disponibles un peu partout sur la toile. La plupart des sites traitants de l'actualité vidéoludique disposent eux aussi de leurs propres façons de juger des qualités d'un jeu de manière subjective avec leurs propres barèmes de notes ou d'appréciations. Les vidéastes ne sont eux aussi pas en reste avec une manière généralement plus personnelle de juger les jeux en se défendant de toute subjectivité. Le sujet des tests de jeux vidéo, de notes attribuées ou sur la subjectivité inhérente aux tests mériterait un numéro de « Nintendo : Au-delà des Apparences » dédié (totem d'immunité vous dîtes?..), ce n'est ici pas le sujet. Il existe aussi des barèmes de notes recensant tous les tests pour faire une moyenne de ceux-ci et ainsi proposer une expérience non-biaisée par la subjectivité des testeurs (dans la théorie.. dans les faits c'est une autre paire de manches). Nous pensons ici notamment au site Metacritic et sa façon bien à lui de proposer un indice allant de 1 à 100 pour non pas juger de la qualité d'un jeu mais de sa réception. Voici le barème pratiqué par Metacritic :

  • Acclamation universelle pour une note allant de 90 à 100 (appréciation de couleur verte)

  • Critiques généralement favorables pour une note allant de 75 à 89 (appréciation de couleur verte)

  • Commentaires mitigés ou moyens pour une note allant de 50 à 74 (appréciation de couleur jaune)

  • Commentaires généralement défavorables pour une note allant de 20 à 49 (appréciation de couleur rouge)

  • Désapprobation écrasante pour une note allant de 0 à 19 (appréciation de couleur rouge)

Il est universellement admis dans la grande communauté gaming, si indulgente et si bienveillante, que tout jeu en dessous de 17/20 ou d'un Metacritic en-dessous de 75 ne vaut pas la peine d'être essayé. Tout chef d’œuvre se trouve entre 19/20 et 20/20 et au-dessus de 90 sur Metacritic. Ce n'est pas nous qui faisons les règles mais bien la géniale communauté gaming, si prompte à faire preuve de bonté et d'objectivité.

Ainsi donc, il est nettement plus simple de juger de la réussite critique d'un jeu que de sa réussite commerciale.

Pourtant, la réussite commerciale d'un titre est-elle le gage de sa qualité ? Et à l'inverse, la réussite critique d'un jeu vidéo assure-t-elle sa réussite commerciale ? C'est sur ces interrogations que nous allons disserter dans cet article et dans lequel nous allons tenter d'extraire quelques clefs de compréhension pour mieux apprécier le média que nous chérissons tous ici.

Pour répondre à la première question, il est nécessaire pour nous de regarder le top des jeux les plus vendus de l'année 2022 en France :

  • Fifa 23 (2022 sur toutes les plateformes): 1,7 million de ventes

  • Call of Duty Modern Warfare 2 (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 791.338 ventes

  • Légendes Pokémon : Arcéus (2022 sur Nintendo Switch) : 589.375 ventes (hors digital)

  • Mario Kart 8 Deluxe (2017 sur Nintendo Switch) : 451.254 ventes (hors digital)

  • Nintendo Switch Sports (2022 sur Nintendo Switch): 432.685 ventes (hors digital)

  • Fifa 22 (2021 sur toutes les plateformes): 423.702 ventes

  • Pokémon Violet (2022 sur Nintendo Switch) : 416.537 ventes (hors digital)

  • GTA V (2013 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 400.953 ventes

  • God of War Ragnarok  (2022 sur consoles PlayStation) : 368.726 ventes

  • Horizon Forbidden West  (2022 sur consoles PlayStation) : 354.402 ventes

  • Gran Turismo 7  (2022 sur PlayStation 5) : 353.771 ventes

  • Elden Ring (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 302.597 ventes

  • Pokémon Écarlate (2022 sur Nintendo Switch) : 300.489 ventes (hors digital)

  • Mario Strikers (2022 sur Nintendo Switch) : 270.772 ventes (hors digital)

  • Splatoon 3 (2022 sur Nintendo Switch) : 257.309 ventes (hors digital)

Voici désormais leurs scores sur Metacritic, (le Metascore sélectionné en cas de jeux sur plusieurs plateformes sera systématiquement le plus haut) :

  • Fifa 23 (2022 sur toutes les plateformes): 79

  • Call of Duty Modern Warfare 2 (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch): 79

  • Légendes Pokémon : Arceus (2022 sur Nintendo Switch): 83

  • Mario Kart 8 Deluxe (2017 sur Nintendo Switch): 92

  • Nintendo Switch Sports (2022 sur Nintendo Switch): 72

  • Fifa 22 (2021 sur toutes les plateformes): 78

  • Pokémon Violet (2022 sur Nintendo Switch) : 72

  • Grand Theft Auto V (2013 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch): 97

  • God of War Ragnarok (2022 sur consoles PlayStation): 94

  • Horizon Forbidden West (2022 sur consoles PlayStation): 88

  • Gran Turismo 7 (2022 sur PlayStation 5): 87

  • Elden Ring (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 96

  • Pokémon Écarlate (2022 sur Nintendo Switch) : 72

  • Mario Strikers : Battle League (2022 sur Nintendo Switch) : 73

  • Splatoon 3 (2022 sur Nintendo Switch) : 83

La moyenne Metacritic des 10 jeux les plus vendus en 2022 s'élève à 83 sur 100, une note honorable qui la place dans la catégorie «  Critiques généralement favorables ».On remarque aussi que parmi cette liste de jeux, seulement 4 jeux sont en-dessous du 75 et donc du vert Metacritic sur cette liste. Si l'on regarde la liste des jeux les plus vendus en 2022, la plupart sont sortis en 2022 mais deux exceptions y figurent (Mario Kart 8 Deluxe et Grand Theft Auto V).

Maintenant regardons la liste des 15 jeux les mieux notés en 2022 sur Metacritic :

  • Portal Companion Collection (2022 sur Nintendo Switch) : 96

  • Elden Ring (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 96

  • Persona 5 Royal (2022 sur toutes les plateformes) : 95

  • The Witcher 3 : Wild Hunt – Complete Edition (2022 sur toutes les plateformes sauf la Nintendo Switch) : 94

  • God of War : Ragnarok (2022 sur consoles PlayStation) : 94

  • Drawf Fortress (2022 sur PC) : 93

  • The Stanley Parable : Ultra Deluxe (sur toutes les plateformes) : 93

  • God of War (2022 sur PC) : 93

  • Cuphead in the Delicious Last Course (2022 sur toutes les plateformes) : 92

  • Chained Echoes (2022 sur toutes les plateformes) : 91

  • I Was a Teenage Exocolonist (2022 sur consoles PlayStation et Nintendo Switch) : 91

  • Rogue Legacy 2 (2022 sur PC, consoles Xbox et Nintendo Switch) : 90

  • The Legend of Heroes : Trails from Zero (2022 sur PC, PlayStation 4 et Nintendo Switch) : 90

  • Neon White (2022 sur PC, consoles PlayStation et Nintendo Switch) : 89

  • Deathloop (2022 sur consoles Xbox) : 89

Si l'on peut remarquer deux titres (à savoir Elden Ring et God of War Ragnarok) qui sont communs à cette liste des 15 jeux les mieux notés en 2022 et aux 15 jeux les plus vendus en France en 2022, cette mise en relation tend à prouver que le lien entre succès critique et succès commercial pour les jeux vidéo est loin d'être évident à faire. Il semblerait que ce soit les jeux les plus marketés plus que les jeux les plus acclamés qui se vendent le plus. Rien ne peux résister aux mastodontes Fifa, Call of Duty, Pokémon et Mario, pas même un score Metacritic jaune. Ce n'est pas parce qu'un jeu est acclamé par la critique qu'il séduira aussi les joueurs.

Peut-on cependant se demander si les jeux les plus acclamés par la presse ont tout de même reçu un accueil chaleureux de la part des joueurs ?

Parmi la liste des jeux les mieux notés par Metacritic (sur un panel plus ou moins important de note et donc avec une crédibilité qui est évidemment sujette à débat), nous ne voyons aucun jeu qui n'aurait pas été rentable pour leurs éditeurs. Néanmoins il ne s'agit ici que de spéculations de notre part et nous ne pouvons que penser sans affirmer que l'aura des bonnes notes décernées à ces jeux aura suffit à les propulser facilement vers leurs seuils de rentabilité. Il est plus que probable que des jeux possédant un Metacritic supérieur à 88 accèdent à un rayonnement et à une exposition auprès des joueurs leur permettant de bénéficier d'un effet de bouche-à-oreilles certain.

Le lien entre succès critique et succès commercial est donc tout à fait relatif. Si le succès auprès des critiques assure généralement une rentabilité aux jeux, ce ne sont nullement les « meilleurs » jeux de l'année qui trône au sommet des jeux les plus vendus de cette année. De plus, les jeux les plus vendus chaque année, bien qu'ils soient généralement de bonne facture, ne sont que très rarement des jeux incroyables dépassant les 85 sur Metacritic. Intéressons-nous donc aux cas qui réfutent totalement un lien entre succès commercial et succès critique.

Il existe une catégorie de jeux à part. Des jeux qui bien qu'ayant reçu un accueil critique chaleureux n'ont pas su rencontrer leurs publics. On parle alors de « succès d'estime », et si cette expression n'a que la saveur d'une médaille en chocolat destinée à élever ces jeux au rang qui leur aurait été dus, les « succès d'estime » ne marquent malheureusement l'histoire qu'à retardement.
C'est la postérité qui donne aux succès d'estime ce statut puisqu'il faut attendre que le jeu soit sorti depuis quelque temps pour pouvoir lui accorder son statut de « bide ». Un succès d'estime est en effet une œuvre saluée par la critique mais qui n'a néanmoins pas connu un succès commercial.
Les exemples de succès d'estime dans le monde du jeu vidéo sont légion et l'univers Nintendo n'est est nullement exempt.

Nous pourrions tout d'abord citer The Legend of Zelda : The Wind Waker, oui vous avez bien lu, The Wind Waker peut en effet être considéré comme un succès d'estime pour Nintendo. Bien qu'il ait atteint le statut de jeu culte sur le long terme et qu'il trône, sans aucune contestation possible, au Panthéon des jeux vidéo, ce Zelda s'est en effet moins bien vendu que l'opus 3D le précédant. Nous excluons volontairement The Legend of Zelda : Majora's Mask de ce calcul pour plusieurs raisons. Tout d'abord, Majora's Mask est sorti sur une console moribonde, apparaissait comme un Zelda bien plus sombre, sans princesse ni Ganondorf et demandait l'achat de matériel supplémentaire (l'expansion Pak vendu à part) pour pouvoir être joué. C'est pourquoi nous comparons ici The Wind Waker, un Zelda coloré, avec princesse et Ganondorf et jouable seulement avec la console sur laquelle il sort, sans accessoire supplémentaire.

The Legend of Zelda : Ocarina of Time s'est vendu à hauteur de 7,6 millions d'exemplaires sur une console dans sa deuxième année de vie, The Legend of Zelda : The Wind Waker n'a quant à lui atteint que 4,4 millions d'exemplaires sur une console, elle aussi dans sa deuxième année de vie. Bien que ces chiffres de ventes soient respectables et que The Wind Waker est aujourd'hui considéré comme un franc succès pour Nintendo, la vérité derrière les apparences est toute autre. Initialement après sa commercialisation, Eiji Aonuma se mit à travailler sur une suite directe à ce titre. Mais, devant les chiffres de vente de cet opus, il fut décidé d'annuler purement et simplement celle-ci pour travailler sur le Zelda que le marché Américain, alors plus stable que le marché japonais, voulait. C'est ainsi qu'est née l'idée d'un Zelda plus sombre, plus réaliste et qui serait une suite directe à Ocarina of Time, ce qui aboutit comme vous le savez à The Legend of Zelda : Twilight Princess. Ce Zelda plus mature aurait d'ailleurs pu signer, selon Aonuma lors de sa conférence à la GDC 2004, le dernier épisode de la saga s'il n'avait pas rencontré son public.

C'est pourquoi classer The Legend of Zelda : The Wind Waker dans la section des jeux ayant connu un « succès d'estime » plutôt que dans les jeux ayant reçu un accueil chaleureux de la part des joueurs, du moins lors de sa sortie, est pertinent. Mais pas d'inquiétude, The Legend of Zelda : The Wind Waker aura le droit, en temps voulu, à son épisode de « Nintendo : Au-delà des Apparences »dédié.

Il existe évidemment d'autres succès d'estime au sein de la très grande ludothèque de Nintendo. Nous pourrions citer The Last Story, le JRPG signé Hironobu Sakaguchi, le papa des 5 premiers Final Fantasy, sorti sur Nintendo Wii en janvier 2011 au Japon et plus d'un an plus tard chez nous. Ce titre, pourtant noté 80 sur Metacritic, n'a pas fait se déplacer les joueurs en masse dans leurs magasins. Il s'est vendu à moins d'un million d'exemplaires sur une console alors vendue à plus de 101 millions d'exemplaires.

Nous aurions aussi pu parler ici de Xenoblade Chronicles X, un JRPG signé Tetsuya Takahashi, suite spirituelle de Xenoblade Chronicles. Ce Spin-off sorti sur Nintendo Wii U, en 2015 et n'a lui non plus pas atteint le million d'exemplaire vendu, la Wii U n'ayant atteint que 13 millions d'exemplaires, cet échec est des plus relatif mais reste néanmoins un échec pour Nintendo et pour Monolith Soft alors même que le jeu culmine à 84 sur Metacritic.

Les succès d'estime sont-ils véritablement destinés à le rester ?

Bien que les succès d'estime n'aient généralement droit qu'à ce titre de consolation pour éponger leurs larmes et leurs dettes contractées lors de leur développement, la postérité a parfois du bon. Par exemple, Okami, un jeu d'action-aventure développé par Clover Studio et édité par Capcom, a été initialement sorti sur PlayStation 2 en 2006. Le jeu a connu un accueil critique très favorable et a obtenu une note impressionnante de plus de 90 sur Metacritic. Malheureusement, malgré ses éloges, il n'a pas réussi à atteindre les ventes d'un million d'exemplaires à sa sortie. Le jeu s'est pourtant élancée sur une PlayStation 2, en fin de vie certes, mais avec plus de 150 millions d'exemplaires distribués. Les principales raisons de cet échec commercial sont le marketing quasi-inexistant autour du titre lors de sa sortie et sa faible présence en magasins. Enfin sortir sur une console en fin de vie n'a pas aidé Okami à tirer son épingle du jeu et à attirer les joueurs déjà tournés vers l'avenir et les nouvelles consoles.

Un an après sa sortie sur une console mourante, Okami s'est vu proposer une seconde chance sur la toute fraîche Nintendo Wii, assorti d'un tout nouveau gameplay avec du motion control, ce gimmick alors si en vogue. Néanmoins, si cette ressortie lui permet de surpasser ses performances initiales sur la console de Sony, le prestigieux million d'exemplaires vendus n'est toujours pas atteint par le titre de Hideki Kamiya. Ici, il est clair que la comparaison et l'affrontement direct dans les bacs de jeux avec un certain The Legend of Zelda : Twilight Princess, qui lui aussi permet aux joueurs d'incarner un loup, n'ont pas fait que du bien à Okami et à ses ventes.

Les ventes du jeu et sa popularité initiale n'ont malheureusement pas permis à Okami de figurer parmi les meilleurs jeux de l'année de sa sortie, du moins pas dans tous les tops. Cependant, il réussit l'exploit de captiver ses fans grâce à sa fraîcheur, son univers et surtout sa direction artistique. Okami va même jusqu'à gagner le record du monde du « Jeu de l'année s'étant le moins bien vendu ». Ce prix lui est remis en 2006 par le livre Guinness des Records.

En 2010, Capcom tente de remettre Okami sur le devant de la scène en proposant une suite spirituelle au titre, Okamiden sur Nintendo DS. Celle-ci est développée par Capcom eux même et propose aux joueurs d'incarner Chibiterasu, le fils d'Amaterasu et se concentre sur la résolution d'énigmes tout en gardant le style graphique propre à Okami et auquel il doit une grande partie de sa renommée. Cette suite, fidèle à son prédecesseur, se vend assez mal et n'atteint pas non plus le million d'exemplaires vendus.

En 2012, Okami est republié sur PlayStation 3, signe que Capcom tenait à lui redonner une seconde seconde chance, néanmoins il faudra attendre sa version HD en 2017 pour qu'Okami atteigne enfin des chiffres de ventes convenables et casse enfin la barrière du million d'exemplaires vendus.

C'est grâce à ses critiques dithyrambiques mais aussi et surtout grâce à ses fans, qui lui sont restés aussi fidèles qu'attachés à son univers, qu'Okami a connu, plus d'une décennie plus tard, le succès qu'il méritait. La postérité couplée à son aura auront donné à Okami toutes les chances dont il avait besoin pour conquérir son public et enfin devenir rentable.

Si Okami n'avait pas été si bon, si la postérité ne lui avait pas accordé son statut de « succès d'estime », il est clair qu'on ne parlerait plus du jeu aujourd'hui, qu'il n'aurait pas connu ni sa suite, ni ses diverses rééditions et qu'il n'aurait donc jamais atteint ses chiffres de ventes actuels. La réussite critique du titre lui ont permit de connaître un certain succès commercial, le jeu doit en effet être aujourd'hui rentable et il se murmure qu'un projet de vraie suite se prépare quelque part dans les studios de Capcom.

Néanmoins, si l'exemple d'Okami doit bien nous apprendre quelque chose, c'est qu'un jeu aussi bon soit il, aussi révolutionnaire soit-il, ne se vendra jamais bien sans marketing. Avec plus de 10 000 jeux qui sortent désormais chaque année sur Steam, il serait idiot et suicidaire de penser que les joueurs connaissent tous les jeux et peuvent se renseigner sur tous. Même les joueurs les plus chevronnés et les plus avides de trouver LA pépite indépendante passeront certainement à côté d'un jeu qui sort sans marketing. L'adage veut que le budget d'un jeu soit divisé en deux parts égales, son développement d'un côté et tous les coûts humains et matériels qu'il engendre et son marketing de l'autre. Si cet adage est surtout vrai pour les jeux dits "AAA", il l'est sans doute quasi-autant pour les jeux indépendants. Pour qu'un jeu puisse toucher son public il faut en parler.
Les réseaux et les façons de parler d'un jeu sont légion et ici sur Nintendo-Master nous mettons un point d'honneur à parler de tous les jeux qui sortent sur Nintendo Switch, mais même nous, journalistes en quête de toutes les infos, nous manquons certains titres et ces pépites peuvent demeurer dans les abîmes de l'eShop pendant très longtemps, sans personne pour se laisser jouer. Les ventes des jeux sont bien souvent le reflet de leurs moyens marketings. C'est encore plus flagrant quand on regarde le top des jeux vendus en France chaque année et qu'aucun jeu réellement indépendant n'y figure et que celui de 2022 est monopolisé par Nintendo, EA Games, Activision, Take Two et Sony.

Il existe un autre ressors, en dehors du marketing, qui permet à certains jeux de se faire connaître et d'alimenter sa base de fan. Il s'agit de l'effet le plus recherché dans tous les médias, le ressort le plus puissant au monde, le sacro-saint bouche-à-oreilles.

Ce moyen de communication et de publicité gratuit est une chose que tous les développeurs et studio de développement souhaitent atteindre. C'est par ce biais que les jeux continuent à être populaires bien après leurs sorties et il existe différents moyens pour « titiller » ce bouche-à-oreilles, notamment en proposant des mises à jour régulières, en cachant des secrets dans les jeux ou des références à d'autres univers ou encore en proposant un gameplay se prêtant bien à la réalisation de vidéos courtes ou de streams.
Une fois le momentum inhérent au bouche-à-oreilles atteint, les ventes d'un jeu peuvent décoller de manière stratosphérique, même plusieurs années après sa sortie. Pensez à Among Us, le succès indépendant de l'année 2020 sorti de nulle part et qui a connu son pic de ventes des mois après sa sortie. Si Okami HD était autant attendu au tournant et s'il a pu générer ses belles ventes dès sa sortie, c'est grâce à sa solide base de fans prêchant les qualité du jeu depuis des années en ligne et qui généraient un bouche-à-oreilles immense autour de ce titre. C'est la passion des joueurs qui engendre un effet bouche-à-oreilles des plus puissant et qui permet au titres d'atteindre une certaine postérité, encore faut-il que les critiques soient bonnes. En effet, un succès d'estime demande tout d'abord un accueil critique favorable pour être valide et comme nous l'avons vu, rares sont les jeux mal notés qui se vendent à des millions d'exemplaires.

Si le bad buzz existe dans le monde du jeu vidéo, l'adage qui veut qu'il n'existe pas de mauvaise publicité fonctionne moins bien dans le monde du jeu vidéo par rapport aux autres médias. Un mauvais jeu ne pourra atteindre des millions de ventes à sa sortie en vertu du prix des jeux, que l'on peut juger exorbitant si on le compare aux autres médias. On peut faire ses ventes sur une mauvaise presse, ou même sur des notes atrocement basses, mais on ne peut pas atteindre les ventes des titres mieux notés sans proposer un minimum de qualité. Les joueurs étant assez alertes sur les critiques des jeux et surtout extrêmement sensibles au bouche-à-oreilles, il est plutôt difficile de les berner.

Il faut tout de même nuancer ce propos en parlant d'autres facteurs, tels une campagne marketing avantageuse et agressive ou bien encore l'usage d'une licence bien-connue qui permettent à un mauvais jeu de bien se vendre lors de son lancement. Néanmoins, la chute des ventes n'attend pas et nombreux sont les jeux à avoir souffert de leurs bad-buzz sur le long terme. D'autant plus que le temps n'est clairement pas tendre avec les mauvais jeux qui ne tardent pas à se retrouver dans les bas de jeux d'occasion et à voir leurs prix drastiquement baisser quelques jours seulement après leurs sorties.

Nous l'avons vu, la passion des joueurs ainsi que le bouche-à-oreilles sont les armes d'une puissance mystique à l’œuvre Cet entité vient corriger les injustices et les aléas de la vente de jeux en redonnant sa chance aux excellents jeux. Le jeu vidéo, grâce aux remakes, aux remasters et aux portages sur d'autres plateformes est le média des secondes chances par excellence. Les excellents jeux finissent par être rentables après avoir conquis le cœur des joueurs qui se mobilisent en masse, par passion, pour redorer le blason de leurs jeux de cœurs. Les exemples de secondes chances sont eux aussi légion dans le monde du jeu vidéo mais nous pourrions citer The Wonderful 101, la saga Nier ou bien encore l'intégralité de la licence Metroid qui ne se vend finalement qu'assez peu mais qui pourtant est encore bien présente dans le cœur des joueurs aujourd'hui.

Si la logique voudrait que les meilleurs jeux soient les plus vendus, notre système, soumis au marketing et aux puissants AAA récompense généralement les jeux dont on parle le plus et pas les jeux les mieux notés.

Pourtant, si la réussite commerciale d'un titre ne dépend donc clairement pas de sa réussite critique, il faut tout de même admettre que d'une certaine manière, les critiques d'un jeu influent sur ses ventes sous plusieurs aspects.

Aucun des jeux dans le top 10 des jeux les plus vendus en France en 2022 n'a mérité un score Metacritic rouge et la plupart de ces jeux sont dans le vert plutôt que dans le jaune. Ainsi il semble quasi-impossible qu'un jeu ayant obtenu un mauvais accueil de la part des critiques apparaissent dans les meilleures ventes d'une année. Il existe des exceptions telle le très récent Battlefield 2042 qui s'est très bien vendu en se hissant à la quatorzième place des jeux les plus vendus en France malgré un Metascore de 68. Cette élégante place fait cependant figure de contre-performance pour le titre qui arbore fièrement les armoiries d'une licence ayant vendu à ce jour plus de 88 millions de jeux vendus. Les foudres des critiques acerbes des journalistes sur l'état de Battlefield 2042 ont donc certainement aidé dans cette contre-performance.

Vendre des jeux par palettes ne signifie pas que ces jeux sont excellents mais sous-entend tout de même que le grand public n'aime pas que l'on se fiche de lui, il tolère ainsi la médiocrité mais récompense surtout les bons, voir les très bons jeux. Dans l'industrie qui nous sert de passe-temps, nous joueurs, votons avec nos portefeuilles., et si l'on en croit les scores Metacritic des jeux les plus vendus chaque année qui oscillent entre 70 et 97, nous votons en âme et en conscience sans nous laisser faire. Il est évidemment possible d'entrer dans un débat sur les jeux d'éditeurs surnotés en vertu du fait qu'un journaliste osant mettre une mauvaise note à un jeu AAA d'un éditeur très puissant s'expose évidemment à des conséquences pour sa carrière à base de fin de privilèges et d'invitations pour lui et pour sa rédaction mais ceci est un autre débat.

La réussite critique d'un titre est sa meilleure arme pour s'assurer une réussite commerciale mais surtout une pérennité. Si un jeu obtient un excellent Metacritic, il est quasi-certain d'obtenir une suite, de créer une saga (s'il n'appartient pas déjà à une des nombreuses franchise de jeux vidéo) et de créer sa propre base de fans. Dans le monde du jeu vidéo, dans lequel les jeux sortent, ressortent et reressortent, il vaut probablement mieux créer un véritable succès d'estime que d'atteindre de bonnes ventes avec un seul jeu aux critiques médiocres.

Êtes-vous d'accord avec cette analyse des liens entre réussite critique et réussite commerciale ? Y a-t-il des succès d'estime que vous aimeriez revoir sur le devant de la scène ? N'hésitez-pas à réagir en commentaires.