Nintendo Switch 2

Pause Lecture : Sous les néons de Cyberpunk 2077 - Décrypter Night City de Matthieu Boutillier chez Third Éditions

Par babidu - Le 03/07 à 07:30

Le 12 juin 2025, Third Éditions publie Sous les néons de Cyberpunk 2077 - Décrypter Night City de Matthieu Boutillier. Disponible en éditions Standard et en édition First Print, avec jaquette réversible et ex-libris illustré par Volhta, l’ouvrage s’attache à explorer de fond en comble l’univers de Cyberpunk 2077, depuis ses influences littéraires jusqu’aux coulisses parfois houleuses de son développement, en passant par la conception de Night City et les choix de narration. Un travail d’enquête et de synthèse, taillé pour celles et ceux qui ne veulent pas simplement jouer, mais comprendre ce qu’ils ont vécu. Avec la toute récente sortie du monument Cyberpunk 2077 sur Nintendo Switch 2 pour son lancement dans un superbe portage, Third Éditions nous gâte aujourd'hui avec un ouvrage dédié au jeu qui semble arriver pile à temps. Pour information, j'ai pu lire ce livre grâce à l'envoi généreux d'un exemplaire par l'éditeur lui-même.

J’ai passé deux longues traversées dans Night City. Une première en 2022, avec le patch next-gen, curieux de voir ce qu’on avait pu recoller sur ce crash industriel. Puis une seconde en 2025, avec un nouveau personnage, de nouvelles mécaniques et surtout son DLC Phantom Liberty, qui venait clore l’errance. Cent vingt heures, peut-être plus, passées à errer dans une ville qui n’existe pas, mais que je visualise encore comme une ville de laquelle j’ai l’impression d’avoir déménagé récemment. Un souvenir vivace et nostalgique, une envie d’y revenir tout en se rappelant des mauvais côtés. Des poissons holographiques de la place Arasaka aux bidonvilles de Pacifica. Le bon, le mauvais, le sublime, le hideux. Le jeu m’a beaucoup plu, mais c’est la ville, son atmosphère, son architecture vertigineuse, ses panneaux publicitaires tout droit sortis d’un futur tout à fait proche, qui m’a marqué. C’est elle qui m’a poussé à revoir les Blade Runner avec des yeux neufs. C’est elle qui m’a donné envie de creuser, de comprendre le genre, de sentir ce qui se cache derrière les néons. Et pourtant, à ce moment-là, j’étais face à un mur. Car la source, la véritable matrice du jeu, c’est un jeu de rôle papier, et moi, les JDR, je n’aime pas ça. L’aspect table, système, incarnation, tout ça me laisse froid. Je voulais comprendre sans y mettre les pieds. Ce que j’ignorais, et que le livre m’a permis de découvrir, c’est le parcours atypique de Mike Pondsmith, créateur du jeu de rôle d’origine. Son histoire personnelle, pleine d’audace, de convictions et de hasards heureux, donne au projet une âme singulière. Il a eu ce qu'on appelle un destin exceptionnel, et j’aime ce genre d’histoire où la fortune sourit aux audacieux. J’ai même désormais envie de feuilleter le livret du JDR, non pour y jouer, mais pour prolonger un peu plus ce voyage dans les fondations de Night City.

Le livre n’a pas cherché à me convertir, et c’est sans doute sa plus grande force. Il vous prend là où vous êtes, devant votre écran, quelques souvenirs en tête, peut-être toujours traumatisé par la vision d’un futur proche que les GAFAM semblent pousser, un futur dans lequel Twitter peut presque décider à lui tout seul du prochain président de la première puissance mondiale. J’ai mis deux semaines à lire les 320 pages, petit à petit, chaque soir avant de dormir, comme on prolonge un séjour dans une ville qu’on n’a pas envie de quitter. L’auteur vient vous prendre par la main pour vous instruire de façon méthodique, pédagogique et avec une plume légère et facile à lire pendant des heures, comment aborder le phénomène Cyberpunk, son historique, son adaptation et ses inspirations. Écrivain, historien, professeur et analyste, les casquettes de Matthieu Boutillier sont multiples mais elles lui vont à ravir.
Ce que j’ai découvert, ce n’est pas seulement la logique d’adaptation, c’est une machine à créer des mondes qui s’est emballée. Cyberpunk 2077, c’est un rêve de game designer, un fantasme de joueur, et un cauchemar d’organisation. Le livre explore tout ça. Le choix forcé du FPS, la lourdeur de la narration, les tensions entre ambition narrative et liberté de gameplay. Mais surtout, il révèle ce que peu de critiques ont osé creuser en profondeur : la structure de production même de CD Projekt Red. Ce fonctionnement en cascade, très vertical, qui fait qu’on travaille sur des assets ou des scènes sans savoir où en sont les autres équipes. Ce morcellement de la vision, qui finit par gangrener le résultat. On comprend mieux pourquoi le jeu est sorti cassé, pourquoi il a fallu deux ans pour le sauver, pourquoi le DLC est à ce point plus maîtrisé que le reste. Il y a dans ce récit quelque chose d’universel, presque tragique. Le rêve d’un studio devenu trop grand pour lui-même.

Le plus troublant, c’est que cette plongée dans l’envers du décor m’a happé alors que je n’étais pas venu pour ça. Je voulais comprendre pourquoi Night City m’habitait encore. Je repars avec un regard transformé sur le jeu, mais aussi avec une compréhension bien plus fine des compromis qu’il implique. Le livre montre que Cyberpunk 2077 est une œuvre de tension : entre fiction et technologie, entre liberté et contrainte, entre désir de grandeur et réalité du terrain. C’est un jeu qui porte en lui ses propres contradictions, et Matthieu Boutillier les révèle avec justesse. À aucun moment il ne cherche à juger. Il analyse, parfois avec une forme de tendresse désabusée. Il ne s’agit pas de réhabiliter l’échec, mais de comprendre ce que cet échec a produit, et comment il a pu devenir, lentement, une forme de victoire bancale mais fascinante. 
Parmi les nombreux éclairages du livre, celui qui m’a sans doute le plus marqué concerne les grandes thématiques abordées par le jeu, et que le livre rend enfin pleinement lisibles. La question du sens de la vie, omniprésente dans Cyberpunk 2077, y est décortiquée avec justesse. Notre héros, sans rien divulgâcher, est confronté à une situation extrême, entre survie imposée et désir de vivre. Le quatorzième chapitre m’a permis de revenir sur cette trame sous un nouvel angle, de comprendre pourquoi elle m’avait tant touché lors de ma partie, et d’y découvrir des dimensions que j’avais laissé passer. Le livre m’a aussi permis d’approfondir un sujet qui me fascine : l’intelligence artificielle. Boutillier y revient avec rigueur, en retraçant certains des premiers jalons littéraires du thème, notamment en me faisant découvrir le lien entre les IA et la culture vaudou chère au quartier de Pacifica qui n'existe pas dans le matériau original qu'est le Jeu de Rôle mais qui provient de la suite du Neuromancien de William Gibson. Cela m’a évidemment poussé à envisager différemment les intelligences présentes dans le jeu et à comprendre ce lien avec les Vaudous. D’autres auteurs comme William Burroughs ou bien l’incontournable Phillip K Dick sont convoqués afin d’augmenter encore plus votre pile de livres à lire si le genre du Cyberpunk vous fascine. 

Le livre adopte une forme particulièrement efficace : didactique sans jamais être scolaire, fluide sans jamais simplifier. Il suit en filigrane la chronologie du jeu, de sa première mission à ses derniers choix, pour mieux en décortiquer le sens. C’est un peu comme aborder L’Iliade et L’Odyssée en commençant par la chute de Troie, en s’arrêtant sur les funérailles d’Hector, puis en s’attardant sur les chants les plus ambigus du voyage d’Ulysse, avant de revenir à Ithaque. Ce découpage, qui pourrait sembler artificiel, se révèle au contraire d’une grande clarté : il donne une cohérence nouvelle aux thèmes, aux personnages et aux choix de mise en scène. Chaque partie trouve sa place dans une lecture globale, où le fond et la forme dialoguent en permanence.
Enfin, je n’ai évidemment rien à redire sur la rigueur éditoriale du livre. On est sur un cas d’école de chez Third Éditions et comme toujours, les sources sont solides, les citations pertinentes, les analyses croisées avec précision et des ouvertures vers des articles complémentaires et autres vidéos sont citées. Niveau lecture complémentaire, nous sommes encore servi. Le livre aborde plusieurs points de vue, plusieurs angles et il propose, guide et nuance ce qu’il y a à nuancer. La ligne éditoriale est tenue de bout en bout, et c’est ce qui rend la lecture aussi agréable qu’enrichissante.

Sous les néons de Cyberpunk 2077 n’est pas qu'un livre pour les fans, mais aussi pour les curieux et les chercheurs. Pour ceux qui veulent savoir d’où vient une œuvre, ce qu’elle raconte vraiment, et pourquoi elle nous hante longtemps après avoir rangé la manette. Pamphlet, propagande pour la réhabilitation d'un titan vidéoludique, un livre passionné, rigoureux, écrit avec une vraie tendresse pour le jeu et pour ceux qui y ont joué. Si Night City vous a laissé quelque chose, une image, un frisson, une idée, des réflexions… alors ce livre peut vous aider, comme moi, à y revenir autrement. Sans manette, sans stress, mais avec un peu de lumière pour mieux comprendre ce que les néons ne montrent pas toujours, ou bien ce qu'ils cachent.
Pour commander ce livre, cela se passe sur le site de l'éditeur et désormais chez tous vos revendeurs de livres favoris. Comme d'habitude, l'édition First Print est totalement exclusive au site de Third Éditions.