A la base Vertigo (Sueurs Froides) est un chef d’œuvre du cinéma datant de 1958. Réalisé par Alfred Hitchcock, on y suit les pérégrinations hallucinées de Scottie un policier acrophobe qui sombre dans les méandres d’un amour passionné avec deux femmes qui ne sont pas tout à fait la même ni tout à fait une autre… Le film revient aujourd'hui sur nos consoles avec un hommage vidéoludique qui ose se confronter à son souvenir...
L'ombre d'un double
Vertigo d'Alfred Hitchcock est un classique indémodable dans lequel James Stewart est impérial et Kim Novak aussi belle que mystérieuse et vénéneuse. Inspiré d’une nouvelle du tandem français Boileau-Narcejac, déjà à l’œuvre pour Les Diaboliques, autre chef-d’œuvre du cinéma (réalisé par Henri-Georges Clouzot) qui avait beaucoup impressionné Hitchcock, Vertigo est un film à tiroirs, rempli de chausse-trappes, de jeux de miroirs et de faux semblants avec des retournements de situation de dernière minute comme le maître du suspens les aime. La photographie du film est sublime, rehaussée par une réalisation révolutionnaire avec des mouvements de caméra inédits depuis repris partout comme le travelling contrarié qui marie travelling avant et zoom arrière pour simuler l’impression de vertige. Pour couronner le tout, Bernard Herrmann, l'un des compositeurs attitrés du maître, signe un de ses scores les plus fameux qui plonge littéralement les spectateurs dans l’intrigue et l’ambiance du film, et cela dès ses premières mesures.
Fenêtre sur Film
Autant dire que Vertigo (Sueurs froides en France) est un monument qui figure au panthéon des meilleurs films et qui est, de fait, quasiment intouchable. Cependant, conscient que l’époque a changé et pour perpétrer le souvenir d’Alfred Hitchcock et promouvoir son héritage, ses ayants droit (comme ceux d’Agatha Christie) ont décidé d’investir dans les jeux vidéo et c'est ainsi que débarque aujourd'hui Alfred Hitchcock - Vertigo sur PC et consoles. A dire vrai, Alfred Hitchcock - Vertigo n’a pas grand-chose à voir avec le film original. Son histoire et ses personnages sont totalement différents et on ne retrouve quasiment rien du film (musique, décor, intrigue…) dans le jeu. Développé par le studio espagnol Pendulo Studio (Yesterday Origins, Blacksad: Under the Skin ou encore la trilogie des Runaway) et édité par Microids, Alfred Hitchcock - Vertigo n’est en aucun cas une adaptation du film, et il se présente plus comme un hommage ou un jeu « à la manière de ». Alfred Hitchcock - Vertigo est un jeu d’aventure et (forcément) de suspens mariant le point and click, les jeux d’énigme et le visual novel.
L'homme qui en savait pas trop
Tout commence lorsqu’un jeune écrivain Ed Miller se réveille dans un fossé après un tragique accident de voiture qui vient de coûter la vie à sa compagne et à sa fille. Il a à peine le temps de se remettre du choc, qu’il assiste, impuissant, au suicide de son père qui se jette d’un pont devant lui… Devant l’horreur de la situation, Ed Miller hésite alors à les rejoindre, en sautant du pont à son tour… Pourquoi continuer à vivre alors qu’il vient de perdre tous ceux qu’il aime ? Il monte sur la rambarde du pont, s’approche du bord et est alors pris d’une violente sensation de vertige. Veut-il vivre ou mourir ? Il bascule mais… Il est sauvé in extremis de la mort. Cependant le cauchemar ne fait en réalité que commencer car personne autour de lui ne comprend sa tentative de suicide et encore moins ses explications. Il n’y a jamais eu d‘accident de voiture et aux dernières nouvelles, il n’avait pas de petite amie et encore moins de fille. Quant à son père, il est mort, il y a des années. Ed Miller aurait-il tout inventé ou y a-t-il une explication derrière ce délire ? Pour tenter de comprendre, persuadée qu’Ed Miller est en train de perdre la raison, sa famille fait appel à Julia Lomas, une psychiatre renommée qui va mener son enquête et essayer de démêler le vrai du faux en provoquant les souvenirs de l’écrivain.
A la manière des productions Quantic Dream (Heavy Rain) et Dontnod (Life is Strange), Alfred Hitchcock - Vertigo est un jeu sous forme de film interactif. Il est extrêmement bien réalisé et soigné, et très respectueux de "l'héritage Alfred Hitchcock"- même si encore une fois le jeu est très différent du film. Le titre propose plusieurs gameplay différents en fonction des séquences. Très souvent, le joueur est invité à appuyer sur différents boutons afin de faire avancer l'action lors de longues cinématiques (en temps réel) interactives- même si c’est assez illusoire, les QTE étant hyper simplistes et jamais punitifs. A dire vrai, on n’a pas vraiment la main sur le développement de l’intrigue qui quoiqu’il arrive nous entraînera vers les points importants. On peut malgré tout choisir quelques dialogues et décider, par exemple, d’être plus ou moins sympa ou agressif pour mieux s’approprier les personnages sachant, encore une fois, que quoiqu’on fasse, le jeu nous emmènera là où il veut qu’on aille.
Mais qui a tué Alfred ?
Outre les séquences QTE, on peut parfois diriger les personnages et les faire interagir avec leur environnement. Cela reste assez limité d’autant plus que les éléments interactifs sont rares et généralement, ils ont tous une utilisation précise à découvrir au bon moment. La bonne idée, c’est que le jeu alterne les points de vue de façon à voir une même séquence sous un angle différent. On doit parfois revivre certaines séquences de façon à les explorer à la manière d’un fantôme pour y dénicher des indices qui nous avaient été cachés auparavant. Comme pour le reste, il n’y a cependant rien de bien compliqué surtout que le jeu nous indique à chaque fois, le passage dans lequel il y a quelque chose à trouver. Pour autant l’ambiance est au rendez-vous et le suspens, très prenant ce qui fait qu’on prend plaisir à dérouler le fil de l’intrigue et à farfouiller partout pour découvrir ses nombreux rebondissements. Certaines séquences traînent toutefois en longueur inutilement et il est clair que si vous êtes en manque d'action, il faut être prévenu que Alfred Hitchcock - Vertigo n'est pas un jeu trépidant. loin de là. Son rythme est volontairement lent pour installer un climat pesant et appuyer le suspens... Peut-être aurait-il juste fallu revoir certaines séquences et les agencer différemment pour éviter qu'on se retrouve parfois avec l'impression qu'on patine alors qu'auparavant tout avançait parfaitement comme s'il s'agissait d'un film.
Le jeu était presque parfait
Un vrai travail a été fait sur l’écriture du jeu et de ses personnages, qui, de ce point de vue, est digne d'un film. Les dialogues sont très bons et les personnages convaincants que ce soit aussi bien dans leurs mimiques que dans leurs gestuelles ou même dans la façon dont ils sont habillés. Et que dire du doublage intégral en français digne d’un film qui leur donne de l’épaisseur. Quel dommage que le chara design soit aussi bizarre. Alors que tout nous pousse à nous croire dans un film, le style graphique choisi pour le visage des personnages n’est pas des plus heureux. On dirait un peu les marionnettes des Sentinelles de l’Air (magnifique série des années 60) ou les tronches des Têtes à Claque. C’est un peu dommage car cela jure avec le côté réaliste des situations et la très bonne réalisation du jeu. Pour autant, on s’y habitue et malgré tout, on s’attache aux personnages. Sur Nintendo Switch, le jeu reste globalement assez beau, dans son style oscillant entre le cartoon et le réalisme, et malgré un peu d’aliasing, la technique tient la route. C’est un vrai plaisir de plonger dans ce suspens plein de rebondissements ou l’amour (avec de jolies scènes intimistes) se mêle au mystère et même à l’angoisse… On note malgré tout, des temps de chargements parfois longuets qui cassent un peu l'immersion.
Un petit mot sur la musique du jeu, totalement originale. Si évidemment, elle ne peut rivaliser avec celle de Bernard Herrmann, elle n’en reste pas moins très belle et parfaitement adaptée au jeu. Juan Miguel Martin n’a pas cherché à plagier le score original même si on retrouve son influence. Le résultat est vraiment à la hauteur. Comme dans le film d’Hitchcock, la musique accompagne à la perfection chaque développement de l’intrigue et fait monter savamment le suspens. C’est en définitive un élément très important qui participe pleinement au plaisir que l’on a à découvrir le jeu.
Au final, si le jeu est très éloigné du film d’Alfred Hitchcock (qui comme il se doit fait évidemment une petite apparition) il le rejoint par son goût du suspens et des faux semblants. On retrouve aussi pas mal de références à d'autres films du Maître (comme Les Oiseaux, par exemple.) On pense aussi à Life is Strange ou encore à la série Twin Peaks- avec son lot de personnages étranges... De belles références pour un jeu soigné qui s'il n'égale évidemment pas le film original n'en reste pas moins tout à fait digne d'intérêt. Après ça, à moins d'avoir la mort aux trousses, vous êtes obligé de trouver une séance pour voir ou revoir (de préférence au cinéma, c'est toujours mieux) Vertigo (Sueurs froides) d'Alfred Hitchcock.