Il a pris tout le monde de court, malgré des mois de rumeurs : le mode souris des Joy-Cons 2 est enfin une réalité. Une innovation aussi inattendue qu’inédite dans le monde du jeu vidéo portable. Si certains titres du line-up de lancement en donnaient déjà un avant-goût, notamment dans les menus ou à travers quelques mini-jeux, un genre semblait fait sur mesure pour exploiter cette fonctionnalité au maximum : le jeu de stratégie. Et pour accompagner Civilization VII, un autre nom bien connu des initiés fait son retour : Nobunaga’s Ambition: Awakening. Une réédition certes, mais pas sans intérêt. La question est simple : cette nouvelle édition peut-elle redonner du souffle à un titre sorti initialement en 2022 sur la première Switch ?
« Guerre et paix » à l'époque Sengoku
Nobunaga’s Ambition, c’est une série qui joue la carte de la longévité. Quarante ans d’existence, une première version sur ordinateurs japonais compatibles BASIC, des portages à la pelle sur les micro-ordinateurs des années 80, et une percée en France à la toute fin de la décennie. Les vieux de la vieille se souviendront peut-être d’un test signé Bernard Jolivalt (futur fondateur de Micro Simulateur) dans Micro News (ex-MSX News), ou encore d’un papier dans Joystick signé par un certain Moulinex sur le deuxième opus, alors distribué par Infogrames.
Mais pourquoi un tel engouement, aussi précoce qu’inattendu, pour cette série ? La réponse est dans le titre. Nobunaga’s Ambition plonge le joueur en pleine époque Sengoku, cette période charnière où le Japon, morcelé en fiefs rivaux, sombre dans un chaos militaire et politique. Nobunaga Oda, simple daimyo de la province d’Owari, s’impose peu à peu comme l’homme de la réunification. C’est lui qui va sceller le sort du shogunat Ashikaga et poser les bases de l’époque Azuchi-Momoyama, prélude à l'époque d'Edo. Un tel décor, entre complots, trahisons, alliances fragiles et batailles décisives, a tout du terreau idéal pour un jeu vidéo. Koei l’a compris très tôt, et la série s’est imposée comme l’une des premières à offrir une vision stratégique et politique de l’histoire japonaise, bien avant que le genre ne se démocratise. Ce n’est donc pas un hasard si, encore aujourd’hui, elle fait office de mastodonte du genre.
Awakening, fidèle à cette tradition, mélange gestion territoriale, simulation politique et conquête militaire. Le joueur prend les rênes d’un domaine qu’il faudra développer, défendre et, surtout, étendre. Il faut gérer ses revenus, ses cultures, ses infrastructures civiles et militaires, tout en gardant un œil sur la stabilité politique de sa province. La gestion des ressources humaines, limitée mais cruciale, conditionne les actions possibles à chaque tour. Pas de place pour l’improvisation : chaque choix compte.
Chaque ville, chaque forteresse de votre domaine peut remplir un rôle bien défini : centre de ravitaillement, avant-poste stratégique pour vos futures offensives ou bastion impénétrable en cas de siège. Déterminer la fonction de chaque région n’est pas un luxe, mais une nécessité. L’efficacité de votre empire repose sur cette organisation. Heureusement, vous ne serez pas seul pour orchestrer ce chantier titanesque : vos fidèles subordonnés sont là pour ça – avec plus ou moins de bonne volonté.
Car qui dit Japon féodal, dit inévitablement vassalité. Nobunaga’s Ambition: Awakening reste fidèle à sa tradition d’excellence en matière de gestion politique, qu’elle soit intérieure ou diplomatique. Attribuer les bons postes aux bonnes personnes devient rapidement un jeu d’équilibriste : un général à la tête d’une armée, un administrateur aux commandes d’une grande ville, un émissaire pour traiter avec vos voisins… mais chacun de ces choix a un coût. Vos vassaux ont de l’ambition – et parfois un prix. Leur loyauté se monnaie, leur fidélité se négocie. Offrez-leur un fief, quelques richesses, ou une once de pouvoir, et vous les garderez à vos côtés. Peut-être.
La richesse du jeu tient justement à cette mécanique de cour : intrigues, promesses, trahisons potentielles. Il faudra tout faire pour éviter qu’un de vos lieutenants ne vous tourne le dos à la première défaite venue. À cela s’ajoute la diplomatie extérieure, tout aussi épineuse. Car vos voisins, eux non plus, ne rêvent pas de paix éternelle.
… Mais surtout « Guerre »
Signer une alliance, maintenir des relations cordiales ? Oui, pourquoi pas. Mais ne vous bercez pas d’illusions : ces alliances sont souvent de façade. Il n’est pas rare qu’un « ami » de longue date vous attaque dans le dos quelques tours après avoir partagé le saké. Rappelons-le : le but du jeu, c’est l’unification du Japon, pas une réunion Tupperware entre daimyos.
Votre mission : avancer prudemment, surveiller chaque mouvement, et surtout, ne pas hésiter à saboter les projets des autres. Briser une alliance rivale, manipuler une entente, semer la zizanie chez l’ennemi. Tout est bon pour prendre l’ascendant. Après tout, dans le chaos féodal, la trahison reste un art.
Qu’on se le dise : la voie strictement pacifique est une impasse. Très vite, il faudra lever les troupes, étendre ses frontières et faire parler l’acier. On mobilise ses garnisons, on prépare ses villes et ses forts, on évalue (grosso modo) la force de l’adversaire, et on part en campagne. Si certaines batailles peuvent se résoudre automatiquement, mieux vaut en prendre personnellement le commandement lorsque l’enjeu devient sérieux.
Le jeu passe alors en mode stratégie temps réel, et ça change tout. Il faut gérer le moral de ses troupes, manœuvrer ses divisions, sécuriser ses points de repli… Bien sûr, on peut foncer dans le tas et espérer réduire à néant toutes les unités ennemies… mais cette approche brutale vous coûtera cher en hommes : il est souvent plus malin d’épuiser l’endurance ennemie, de faire tomber son moral en capturant des avant-postes ou en dégommant ses généraux clés. Si vos effectifs sont supérieurs, la partie est presque gagnée d’avance, mais limiter les pertes devient vite un enjeu crucial pour la suite de la campagne. Et puis, avouons-le : remporter une bataille mal engagée grâce à une manœuvre sournoise, c’est tout simplement jouissif.
Les sièges reprennent cette logique mais montent d’un cran en difficulté. Les villes fortifiées regorgent de structures défensives qui transformeront votre armée en bouillie si vous vous précipitez, et chaque assaut se transforme en casse-tête stratégique. Inversement, quand c’est vous qu’on vient assiéger,c’est tout de suite plus amusant!
Un apprentissage difficile
Nobunaga's Ambition: Awakening est un jeu dense, riche, exigeant. Et ce sont justement tous ces petits détails qui donnent de l’épaisseur à l’expérience : sabotage, création de dominions, recrutement d’anciens ennemis après une défaite cuisante, mariage stratégique pour consolider une alliance… tout y est. Chaque système se connecte au précédent, formant un engrenage complexe mais grisant.
Mais cette richesse a un prix : l’entrée en matière est raide. Malgré un tutoriel, les mécaniques restent nombreuses, parfois obscures, et le joueur devra passer par la case « aide » – ou par une bonne dose d’expérimentation, à l’ancienne – pour saisir toutes les subtilités, et les textes en anglais exclusivement ne vont pas vous aider. Les trois premières heures ressemblent à un rodage : on tâtonne, on apprend, on se perd un peu. Puis tout s’aligne. Et là, impossible de lâcher la manette. Le rythme s’accélère, les enjeux s’enchaînent, et on se retrouve happé par le jeu.
Côté contenu, on a de quoi s’occuper. Le jeu propose une impressionnante galerie de scénarios, chacun permettant de prendre les rênes d’une province à une époque différente et de réécrire l’Histoire à notre manière. On est loin de la profondeur algorithmique d’un titre Paradox Interactive, et ce n’est clairement pas l’ambition ici de toute manière. L’objectif est de permettre à chacun – même avec une province de départ minable – de tirer son épingle du jeu avec un minimum de méthode et un brin d’audace.
Les amateurs d’Histoire seront ravis du soin apporté au contexte. Au fil de la partie, de petites saynètes ponctuent les grands événements de l’époque : trahisons retentissantes, batailles légendaires, alliances brisées… Le tout tente d’illustrer les grands arcs narratifs du Sengoku. Sur le papier, c’est louable. En pratique ? Pas sûr que le public occidental y trouve son compte. Sans bagage historique solide, ces scènes paraîtront confuses, voire anecdotiques. Sympa pour l’ambiance, pas indispensable pour le gameplay.
Et puisqu’on parle de gameplay, venons-en au nerf de la guerre : la jouabilité. C’était historiquement l’un des gros défauts des versions consoles de Nobunaga’s Ambition, et Awakening n’y a pas échappé à sa sortie initiale. Sur PS4 ou Switch, les contrôles à la manette faisaient peine à voir. Interface pensée pour la souris, navigation lourde, menus fouillis, gestion du temps pénible… bref, une ergonomie sacrifiée. Même les contrôles tactiles de la Switch classique, s’ils sauvaient un peu l’expérience en mode portable, ne suffisaient pas à masquer les limites d’une interface rigide.
Mais voilà qu’arrive la Switch 2, et avec elle, un petit miracle : un vrai mode souris. En activant les gâchettes SL/SR, le Joy-Con droit se transforme en pointeur : clic gauche avec R, clic droit avec ZR. C’est simple, efficace, et surtout, ça fonctionne. Pour la première fois sur console portable, Nobunaga’s Ambition: Awakening se manie presque comme sur PC. L’interface devient soudain plus digeste, la navigation plus fluide, et les menus, toujours aussi austères, un peu moins hostiles.
En mode portable, l’affichage reste lisible, les performances tiennent la route, y compris en pleine mêlée. Bref, cette version Switch 2 a tout d’une bonne pioche. Reste une petite frustration : le Joy-Con gauche reste désespérément inactif, et aucun raccourci ne peut être assigné, ce qui aurait clairement pu booster la réactivité. Un petit manque d’audace dans un système pourtant bien pensé.