Nintendo

Nintendo : Au-delà des Apparences - Pikmin : La Quintessence Absolue du RTS ?

Par babidu - Le 15/09/2023 à 10:30

Derrière les chefs d’œuvres de Nintendo et leurs univers incroyables se cachent des secrets de fabrication, des processus de développement créatif et des choix de design qui ont permis à Nintendo de devenir aussi intemporelle qu'éternel. Dans Nintendo : Au-delà des Apparences, nous allons explorer l'univers de Nintendo au-delà des apparences et découvrir les éléments cachés qui ont permis à cette société de jeux vidéo de marquer l'histoire de l'industrie du jeu.

Cliquez ci-dessous pour découvrir cet article en vidéo ! 

C'est un fait. Pikmin premier du nom est un jeu parfait dans son genre, un jeu extrêmement abouti, aux amibitions folles et qui aura su révolutionner le jeu de stratégie. Vous pouvez argumenter autant que vous le désirez en commentaire, Pikmin est parfait, il n'y a rien à opposer à ce fait établi.
Avec cette affirmation, nous souhaitons souligner le caractère absolu de ce chef d’œuvres sans affirmer non plus qu'il s'agit du meilleur jeu de tous les temps, il ne figure par ailleurs pas dans notre top 10 personnel et il ne s'agit pas non plus notre opus de la saga Pikmin favori. Cela n'empêche pas notre première affirmation d'être vraie et nous allons vous le prouver.

Initialement développé autour du concept d'IA (Intelligence Artificielle) multiples et en grand nombre. Shigefume Hino et Masamichi Abe, les réalisateurs du jeu, voulaient créer une sorte de god game dans lequel les joueurs auraient pu observer divers PNJ (Personnage Non Joueur) vivrent leurs vies, évoluer et interagir entre eux. Pikmin est très vite passé du god game au RTS dès son premier prototype alors appelé Adam and Eve.
Pendant le développement du prototype qui donnera naissance à Pikmin, Miyamoto et ses équipes se référaient au jeu comme un « jeu d’action avec IA » puis lors du véritable développement du premier Pikmin, ils parlaient entre eux du projet comme d’un «jeu de gestion de tâches ». Aujourd’hui, et grâce à Pikmin 4, le terme Dandori, l’art de planifier ses tâches pour gagner en efficacité et en fluidité, englobe tous ces aspects.

Néanmoins, si Pikmin fait aujourd’hui office de jeu à part, lors de sa sortie et au moment de sa conception, le titre lorgnait vers le genre du RTS (Real Time Strategy game ou jeu de Stratégie en Temps Réel). Ce genre est né en 1992 avec le jeu Dune II: The Building of a Dynasty.
Dune II (sorti chez nous avec ce sous-titre : La Bataille d’Arrakis) fut développé par Westwood Studios et édité par Virgin Interactive sur PC. Il connut une sortie sur Amiga et Megadrive en 1993 et connut une ressortie sous la forme d’un remake en 1998 sous le nom de Dune 2000 (Ah…les années 2000…). Si l’on estime aujourd’hui que Dune II est à l’origine du genre du RTS c’est parce qu’il en a posé les bases.
En effet, Dune II reprend les systèmes de jeu de stratégie en vue du dessus pour en affiner la formule en ajoutant le sacro-saint « Récolter-Construire-Conquérir », formule qui a permit de différencier les RTS des autres genres de jeux (types god-game, jeu de stratégie à l’ancienne, jeu de gestion ou jeu de simulation) et en mettant l’aspect temps réel au centre de sa boucle de gameplay.

La boucle de gameplay de Pikmin se basait initialement sur le fait que les Pikmin se multipliaient à mesure qu'ils rapportaient les ennemis et les ressources disponibles dans les niveaux à leur base. Puis divers puzzles et situations de jeu bien spécifiques furent ajoutés à l'équation. Mais la base du jeu repose donc sur la collecte de ressource pour construire son troupeau puis conquérir les différents niveaux et recommencer à collecter des ressources et ainsi de suite jusqu'à l'accomplissement de la quête d'Olimar. Une boucle de gameplay en parfaite harmonie avec la formule magique des RTS. Shigefume Hino définira même cette boucle selon ces termes dans une interview réalisé à l'occasion de la sortie de Pikmin 4 : « le nombre des créatures augmente à mesure qu'elles rapportent dans leur base les ennemis qu’elles ont vaincu ». Pikmin va aussi à l'essentiel au niveau de ses unités. Dans un RTS les différentes unités proposées aux joueurs amènent de la variété et donc de la saveur au gameplay. Pikmin ne va pas dans la surenchère d'unité en ne proposant que trois sortes de Pikmin différentes, les Pikmin rouge qui ne craignent pas le feu et qui sont les plus efficaces au combat, les Pikmin jaunes qui peuvent être lancés plus loin mais aussi transporter des bombes et enfin les Pikmin bleus qui peuvent évoluer sous l'eau. De la simplicité, mais en apparence seulement puisque les différents types de Pikmin sont complémentaires et que chaque Pikmin devra être utilisé avec réflexions et sera nécessaire pour aller au bout de l'aventure.

Par ailleurs, le curseur, outil emblématique des RTS (avec les raccourcis clavier) est ici remplacé par un protagoniste différent de la meute en la personne d'Olimar. Ce choix de game design a permit à l'équipe de développement de Pikmin de palier à plusieurs problèmes. D'abord un problème de gameplay pur en transposant un gameplay florissant sur PC grâce au combo clavier-souris, à un écran de télévision et sur une manette, un véritable challenge d'adaptation en soi. Mais Olimar fut aussi ajouté pour renforcer l'impression des joueurs qu'ils dominent véritablement un troupeau de Pikmin sauvage au doigt et à l’œil. Le joueur contrôle Olimar qui donne des ordres aux Pikmin, laissant les Pikmin autonomes sans pour autant les rendre incontrôlables. Enfin, cela permit aussi aux équipes de Shigeru Miyamoto d'ajouter la fameuse « Nintendo Difference » à leur projet en l'éloignant des RTS très génériques et en apposant la patte du maestro sur ce projet.

Néanmoins, Pikmin a tout du RTS, il va même a tel point en embrasser les codes qu'il va les sublimer à sa manière.

Si, durant son développement, l'équipe se référait au projet comme à un jeu « de gestion de tâches », Pikmin n'a rien d'un simple jeu de gestion. Il possède un aspect survie, des combats et de l'exploration, Nintendo classe même le jeu dans la catégorie « Action, Aventure, Stratégie » sur la page eShop du titre. Ce qualificatif de « jeu de gestion de tâches » n'était présent qu'en interne durant le développement des deux premiers jeux pour que l'équipe ne perde pas de vue l'aspect gestion qui leur tenaient à cœur et donnait au jeu son impulsion créative. Il fallait garder ce cap pour ne pas simplement tomber dans le RTS pur et dur avec un petit twist, ce qui aurait rendu le jeu plutôt fade et loin de la fraîcheur des autres franchises de Nintendo.

Cependant, c'est cet aspect de gestion qui permit à l'équipe d'embrasser pleinement le genre du RTS en ajoutant à Pikmin une limite de temps.

Dans Pikmin vous aurez trente jours en jeu pour retrouver trente pièces de vaisseau, pas un jour de plus. Attention spoiler. Si vous ne parvenez pas à réunir au moins vingt-cinq des pièces de votre vaisseau, la mauvaise fin du jeu se déclenchera, dans celle-ci Olimar vient à manquer d'air et tente de quitter la planète coûte que coûte avec un vaisseau défectueux qui... se re-crash directement. Les Pikmin amèneront alors Olimar, inconscient, dans leur oignon qui recrachera un Olimar affublé d'une tige, brisant une fois pour toutes ses espoirs de retrouver sa famille. Pikmin premier du nom vous fera d'ailleurs culpabiliser de ne pas parvenir à sauver Olimar à temps avec le journal d'explorateur rédigé par celui-ci à chaque fin de journée. Dans ce journal de bord, Olimar vous fera comprendre à quel point il tient à rentrer chez lui pour pouvoir s'occuper de sa famille qui lui manque tant. Cette mauvaise fin est assez horrible pour être soulignée tant son caractère dramatique est assez inhabituel chez Nintendo. Olimar perd tout si vous ne parvenez pas à retrouver le minimum nécessaire pour quitter la planète sur laquelle il vient de s'écraser.

Grâce à cette limite de temps qui paraît très serrée lors d'une première partie, l'équipe de développement parvient à insuffler un sentiment d'urgence au joueur et à les contraindre à ne pas gaspiller leur temps. Chaque jour, les joueurs devront ramener une pièce du vaisseau sous prétexte de devoir recommencer leur journée, du moins c'est l'impression que les joueurs ont en débutant l'aventure d'Olimar. Shigeru Miyamoto et ses équipes insufflent ainsi l'esprit d'organisation et la planification nécessaire pour bien jouer à Pikmin aux joueurs. En manipulant les joueurs et en les angoissant avec une fausse limite de temps, l'équipe de développement « stresse » les joueurs. En réalité, Pikmin premier du nom est totalement réalisable en moins d'une vingtaine de jours au lieu des trente que le jeu vous accorde. Ce stratagème pousse les joueurs à chercher activement la meilleure manière de jouer au jeu et à résoudre les puzzles ainsi que les différentes situations proposées. Pour réussir ce challenge il faudra de plus être extrêmement efficace et précautionneux, ne pas perdre trop de Pikmin pour ne pas perdre de votre précieux temps et donc protéger ces créatures coûte que coûte. Les Pikmin sont vos meilleurs alliés et vous ne devriez jamais avoir à perdre du temps à refaire vos troupes en consacrant de longues minutes à la recherche de butin pour reconstituer vos rangs perdus, il ne faut surtout pas envoyer vos troupes à l'assaut sans réfléchir et le jeu va vous l'apprendre en vous prenant ce que vous avez de plus précieux dans votre partie, non pas vos Pikmin mais votre temps. Les Pikmin sont virtuellement illimités, votre temps ne l'est clairement pas et si vous désirez gagner à Pikmin il va falloir appliquer les conseils que le jeu vous susurre à l'oreille en vous montrant dans quoi passe le temps que vous perdez. Soyez efficaces, ne vous dispersez pas, ne perdez pas patience et surtout, organisez-vous ! Voilà les leçons que Pikmin veut vous apprendre grâce à sa limite de temps.

En utilisant la pédagogie de l'expérience, Pikmin vous apprend ce qu'est le Dandori, l'art de « penser à la planification et à l'efficacité à l'avance pour que les choses se passent sans problème » (définition officielle donnée par Nintendo) et à le pratiquer, que ce soit en jeu ou dans votre vie de tous les jours.

Le temps dans Pikmin n'est pas votre ennemi mais votre professeur. Vous avez perdu du temps en réalisant une action ? Tentez une autre approche.
Vous avez perdu tous vos Pikmin dans un combat et allez donc devoir consacrer le reste de la journée à refaire vos troupes ? Cet ennemi qui vous a détruit votre armée a probablement un autre point faible à exploiter.
Le monstre gazeux aux yeux rouges a décimé votre armée ? Tent...ne l'approchez surtout pas, il n'y que très peu de scénarios dans lesquels vous détruisez cet ennemi sans perdre une grande partie de votre troupeau.


Pikmin prend toutes les lettres du sigle RTS au sérieux et vient remettre le temps au centre du genre, embrassant totalement la seconde lettre de ce sigle (Real TIME Strategy) pour utiliser le temps qui passe comme une mécanique de jeu. Rares sont les jeux de stratégie en temps réel exploitant le temps comme une vraie mécanique de jeu, encore plus rare sont ceux qui ont réussis à l'utiliser pour insuffler des comportements aux joueurs et pour les aider à se surpasser. Pikmin y est parvenu et est, à nos yeux, le RTS ultime. Celui qui aura su prendre le genre et le révolutionner pour créer sa propre expérience.
C'est en ce sens que Pikmin premier du nom est un jeu parfait. Il a pris le genre du RTS au pied de la lettre et a utiliser tous les aspects ainsi que tous les grands thèmes qui le composent pour construire sa propre formule, loin des canons du genre qui n'intègrent pas le temps comme une véritable mécanique mais simplement en opposition au système de combat au tour par tour. Pikmin est la quintessence du RTS, le jeu qui aura le mieux compris ce genre.

P.S. : Merci infinement à HecateSteam pour ses captures de Pikmin 1 sur Nintendo Switch. N'hésitez pas à lire ou relire son excellent test de Pikmin 1 - Switch Edition !