Allez savoir pourquoi, l’Europe est souvent perçue comme un décor idyllique pour les intrigues romantiques. Une vision qui peut prêter à sourire pour nous, français, qui en voyons parfois plus le côté « Châteauroux » que « Château de conte de fées ». Mais après tout, laissons les étrangers rêver : l’Europe continue d’inspirer bon nombre de films, d’animes et… de jeux vidéo. Et ça tombe bien, Despera Drops est l’un d’entre eux!
Les gouttes du désespoir (quoi que ça veuille dire)
Si vous vous intéressiez au jeu vidéo japonais dans les années 90, le nom de Red Entertainment vous évoque sans doute quelque chose. Pionnier du développement de jeux à forte dimension narrative, le studio s’est illustré avec des titres marquants comme Galaxy Fräulein Yuna sur PC-Engine ou encore Sakura Taisen, développé pour le compte de SEGA. Bien que plus discret ces dernières années, Red Entertainment n’en reste pas moins actif, contribuant à plusieurs licences majeures. On retrouve ainsi son empreinte sur le scénario de Fire Emblem Fates, la série Tales of, ou encore les adaptations vidéoludiques de Gungrave. Mais le studio s’aventure également du côté des Otome Games (jeux de romance mettant en scène une héroïne), avec notamment Birushana: Rising Flower of Genpei (sorti en 2022 en Occident) et plus récemment Despera Drops, qui nous intéresse ici.
Fidèle à sa réputation, Red Entertainment s’entoure une fois de plus de talents reconnus pour donner vie à ce projet. Après avoir fait appel à Kosuke Fujishima (Tales of, You're Under Arrest) pour Sakura Taisen, puis à Shirai Eiri (Hai to Gensou no Grimgar) pour Our World is Ended, le studio confie cette fois le character design de Despera Drops à Yosuke Kozaki (No More Heroes, AI: The Somnium Files, Fire Emblem Fates). Côté scénario, on retrouve Yoshimura Ririka, qui s’était illustrée avec le très apprécié Cupid Parasite, tandis que la bande-son est signée Yugo Kanno (Da Capo, Gundam Reconquista in G, Nioh). Voilà le topo, mais comme un jeu-vidéo ne se résume heureusement pas à un empilement de CVs, allons plutôt voir ce que ce Despera Drops a dans le ventre.
En cavale à Rome
Ah, Rome… Ses monuments antiques, son architecture méditerranéenne mêlée à l’élégance italienne, ses passages piétons où traverser revient à jouer sa vie à pile ou face… Pas étonnant que Mika Amamine, l’héroïne du jeu, ait choisi cette ville pour poursuivre ses études, loin de son Japon natal. Malheureusement pour elle, son séjour vire au cauchemar lorsqu’elle se retrouve accusée d’un meurtre sordide. Elle n’est pas la seule à être arrêtée et se retrouve dans un fourgon de police en compagnie de cinq autres suspects. Mais leur transfert tourne court lorsqu’un accident leur offre une opportunité inespérée de s’échapper. Désormais en cavale, ils n’ont d’autre choix que d’enquêter sur ce crime pour prouver leur innocence et lever le voile sur une sombre conspiration.
Despera Drops se présente comme un visual novel relativement classique, avec une narration très dirigiste. Si quelques interactions ponctuent l’aventure, l’essentiel du jeu consiste à suivre les dialogues. Certaines séquences offrent cependant une touche d’interactivité supplémentaire : on suit un réseau de caméras de sécurité tout en donnant des instructions aux personnages pour s’infiltrer ou échapper aux forces de l’ordre. Mika et ses compagnons devront ainsi naviguer entre leur enquête, une police à leurs trousses et une mystérieuse organisation qui semble tirer les ficelles de cette affaire.
Affublé du qualificatif d’Otome Game (souvent raccourci en otoge), Despera Drops pourrait laisser penser que son scénario ne sert que de prétexte à des romances avec les différents personnages. Pourtant, il n’en est rien : l’intrigue un peu perchée se révèle être un thriller haletant qui a de quoi vous faire tenir sur plusieurs heures. Non seulement l’histoire dissipe certaines zones d’ombre tout en intensifiant le mystère, mais son dénouement, entre trahisons et révélations généalogiques, se révèle à la hauteur des attentes et ne retombe pas comme un soufflé après une énième pirouette scénaristique (cas qui peut sembler très spécifique, mais qui vise presque ¾ des intrigues du genre).
Le rythme, cependant, n’est pas toujours optimal. Si la trame principale s’apparente à un jeu du chat et de la souris, elle finit par céder la place aux routes individuelles, plus centrées sur la romance. Les amateurs du genre pourraient d’ailleurs être surpris par la relative discrétion des éléments romantiques par rapport aux ténors de l’otoge. Despera Drops est aussi à ranger parmi les visual novel les plus verbeux, s’étalant sur un peu plus de vingt heures. Selon votre seuil de tolérance, les longueurs risquent d’avoir raison de votre patience. Aussi, le jeu n’est disponible qu’en anglais, et même si le niveau requis n’est pas non plus élevé (et les nombreuses répétitions rendant l'ensemble plus digeste), la barrière de la langue pourra également jouer sur votre capacité à suivre des heures de dialogue.
Sans grande surprise, les personnages de Despera Drops s’appuient sur des archétypes plus ou moins assumés. Pourtant, cette approche fonctionne bien, chaque protagoniste ayant ses propres démons et traumatismes à surmonter, qu’il faudra explorer pour espérer conquérir son cœur. Certains d’entre eux ont des passés si tragiques qu’on frôle parfois l’écriture façon Jun Maeda, où les traumatismes de l’enfance semblent rivaliser de cruauté, ce qui peut sembler parfois un peu trop poussif. Heureusement, tous ne sombrent pas dans le drame absolu, et quelques scénarios adoptent une tonalité plus légère.
Mention particulière tout de même pour le personnage à Sally, qui tranche avec nombre de stéréotypes trop souvent véhiculés dans la pop culture japonaises sur les personnes transgenres, où ces figures sont reléguées à des rôles caricaturaux ou comiques un poil dégradants. Dans Despera Drops, elle bénéficie d’une écriture touchante et nuancée, et probablement l’un des personnages les mieux écrits du jeu.
La romance au compte-goutte
Avec une durée de vie d’environ vingt heures, Despera Drops consacre à peine 10 % de son temps à la romance, le reste étant axé sur l’intrigue. Si vous recherchez avant tout un jeu centré sur les relations amoureuses, mieux vaut passer votre chemin : ici, il s’agit avant tout d’un visual novel à suspense, saupoudré d’éléments romantiques, et non l’inverse.
Comme tout bon visual novel à embranchements, Despera Drops offre la possibilité de recommencer certaines parties de l’histoire afin d’explorer toutes les routes possibles. Malheureusement, un point risque d’en irriter plus d’un : les phases avec les caméras de surveillance, impossibles à passer. Sympathiques lors de la première partie, elles deviennent rapidement laborieuses lorsqu’il faut les répéter plusieurs fois chacunes.
Visuellement, Despera Drops propose une présentation soignée, avec de nombreux portraits illustrant les personnages et quelques CG pour ponctuer l’aventure. Toutefois, on perçoit une certaine différence de qualité par rapport au travail de Yosuke Kozaki, qui s’est limité au character design et à la jaquette du jeu. Notons aussi l'excellente bande son qui accompagne notre aventure, et le doublage intégral du jeu.