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Agatha Christie – Mort sur le Nil

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Agatha Christie – Mort sur le Nil

Par rifraff - Hier à 10:00

On ne compte plus les adaptations d’Hercule Poirot, le détective culte d’Agatha Christie tant au cinéma qu’à la télé qu’en bandes dessinés et en jeux vidéo. Depuis plusieurs années déjà, le studio français Microids, via son studio de Lyon, s’est fait le spécialiste des adaptations vidéoludiques du célèbre détective. Seulement, plus le temps passe, plus il devient difficile de trouver des histoires qui n’ont pas déjà été maintes fois adaptées et, surtout, dont les ressorts dramatiques (et le coupable !) ne sont pas connus de tous.

Test réalisé à partir d'une version du jeu fourni par l'éditeur

Mort sur le vinyle

Pour continuer à adapter les enquêtes d’Hercule Poirot, les auteurs sont donc obligés de faire preuve de créativité et d’originalité. Ainsi, dernièrement, Kenneth Branagh a transformé Les Crimes d’Halloween en une sorte de film d’horreur se déroulant à Venise avec Mystères à Venise et, aujourd’hui, Microids nous offre une version de Mort sur le Nil se déroulant dans les années 70 avec de nouveaux personnages et de nouvelles intrigues. Mais réécrire un tel monument d’Agatha Christie est-il bien pertinent ?

Mort sur le Nil est un roman initialement sorti en 1937 qui est l’un des plus fameux d’Agatha Christie. Le grand public le connait surtout grâce à l’inoubliable film de John Guillermin avec Peter Ustinov, Jane Birkin, David Niven, Mia Farrow, Angela Lansbury et Bette Davis mais aussi grâce à la non moins inoubliable version télé de l’excellente série britannique avec David Suchet sans même parler du film de 2022 de et avec Kenneth Branagh (cependant bien moins réussi).

Si vous êtes fan du roman et des versions susnommées vous connaissez forcément cette histoire de croisière mortelle sur le Nil réunissant un triangle amoureux et une ribambelle de personnages hauts en couleurs…

Et pourquoi pas, Jane ?

A dire vrai, j’ai lancé le jeu avec beaucoup d’appréhension et je m’attendais à un vrai sacrilège du roman d’Agatha Christie mis à la sauce progressiste, très en vogue ces dernières années, ou sous couvert de diversité et d’inclusion, on dénature totalement les œuvres en changeant radicalement les personnages, leur apparence et leur genre, en réécrivant leurs histoires et en ajoutant tout un tas d’éléments et de messages pour coller à notre époque moderne.

Les derniers films et feuilletons Marvel et Star Wars, la série Doctor Who, l’œuvre de Tolkien, la série animée Tomb Raider ou encore l’adaptation de la série de roman The Witcher sont tous passés à la moulinette progressiste avec des résultats décevants, réduisant leur impact mais aussi leur public.

Être éveillé aux discriminations et aux clichés qui parsèment les œuvres depuis des décennies est une bonne chose. Il faut inventer de nouvelles histoires et créer de nouveaux récits avec de nouveaux héros et héroïnes mais pourquoi réécrire de manière si abrupte des histoires et des franchises qui jusque-là plaisaient (quasiment) à tout le monde en touchant à l’universel.

Surtout qu’à l’arrivée non seulement on dénature les œuvres originales mais on ne fait que créer de nouveaux clichés parfois bien plus exaspérants que les anciens.

Dans Agatha Christie : Mort sur le Nil (on note qu’Hercule Poirot ne figure pas dans le titre), notre cher détective belge est cependant toujours « le même » ou plutôt assez proche de l’interprétation qu’en a fait Kenneth Branagh. Un choix que je regrette d'ailleurs car quitte à s’inspirer d’un Poirot existant, il aurait été plus judicieux, selon moi, de s’inspirer du Poirot de David Suchet voire de celui d’Albert Finney dans Le Crime de l’Orient Express de Sydney Lumet, tous deux bien plus proches de l’original que celui de Branagh.  

L’intrigue se brisa

De toute façon, c’est comme ça et, finalement ça fonctionne plutôt bien. Dans ce jeu cependant, Poirot n’est pas seul. Et c’est évidemment le plus étonnant mais aussi, au départ, le plus inquiétant car  pourquoi ajouter une héroïne à une histoire qui n'en n'avait pas ? Dans Agatha Christie : Mort sur le Nil, Poirot partage l’affiche avec Jane Royce, une toute nouvelle héroïne échappée d’un film de blackploitation des années 70 genre La Panthère Noire de Harlem ou encore Foxy Brown avec Pam Grier.

C’est vraiment bizarre et on se demande un peu ce qu’elle vient faire là. Il faut dire que l’action de cette nouvelle adaptation est transposée dans les années 70 (au lieu des années 20-30). Ça commence d’ailleurs dans une discothèque avec boules à facette et faux tubes disco en toile de fond. Pour tout dire, aussi dingue que cela puisse paraître, cela ne change pas grand-chose et dans certaines séquences, on oublie même carrément à quelle époque on se trouve.

Cette fois-ci, donc, en plus de suivre les grandes lignes de l’œuvre d’Agatha Christie en compagnie de Poirot, on doit suivre une nouvelle intrigue totalement inédite avec Jane Royce nous emmenant dans divers lieux inattendus notamment à Londres ou encore à Majorque sachant que les histoires convergeront finalement à Abou Simbel et se poursuivront même après…

Ce n’est pas la première fois que Microids réinvente un classique d’Hercule Poirot. Déjà, Le Crime de l’orient express, sorti il y a deux ans, avait transposé l’intrigue en 2023 et ajouté une nouvelle détective, permettant de sortir du huis clos du train, lors de flashbacks jouables.

Si vous avez déjà aimé le jeu précédent, vous ne serez donc pas dépaysé puisqu’il s’agit plus ou moins de la même recette avec cependant quelques améliorations qui rendent le jeu plus dynamique.

En pratique, il s’agit d’un jeu d’enquête à la 3eme personne dans lequel on dirige en fonction des séquences, Hercule ou Jane. Il s’agit toujours d’explorer, d’examiner, d’enquêter et de discuter avec différents personnages afin de récolter des indices qu’il faudra ensuite relier entre eux. Le jeu est constitué de plusieurs mini enquêtes à résoudre (qui finiront par s’imbriquer les unes aux autres) et de petits défis facultatifs, notamment avec des petits casse-têtes à résoudre et des moustaches dorées à trouver qui nous incitent à farfouiller dans tous les coins, même dans les endroits où il semble ne rien avoir.

Dans les enquêtes, il suffit de suivre le fil de l’intrigue. La construction est souvent simple. Avec Hercule Poirot aux commandes, c’est classique : un mystère survient dans un lieu précis avec différentes personnes impliquées qu’il faut alors interroger, les unes après les autres afin de récolter un maximum d’indices afin de faire progresser l’enquête.

Un jeu est-il facile ?

C’est d’autant plus simple que le jeu reprend et améliore le principe de la carte mentale des titres précédents qui affiche les indices et les objectifs à accomplir. En pratique, il s’agit d’interroger tous les personnages sur les mêmes sujets (imposés) sachant que chaque fait important est intégré sous forme de bulle à la carte mentale qui est une représentation 2D de tous les indices récoltés dans les conversations, les fouilles ou les écoutes. Les indices se relient entre eux automatiquement mais parfois un point d’exclamation indique qu’il y a une déduction à tirer de plusieurs faits et déclarations afin d’établir une nouvelle connexion. Régulièrement, sur la carte mentale, lorsque plusieurs faits ont été établis, ils convergent vers une pièce de puzzle. Plusieurs solutions sont alors proposées. A vous de faire la bonne déduction qui s’impose sachant que le jeu n’est pas punitif. De toute façon, si vous suivez bien l’intrigue, ça ne sera pas trop compliqué- tout du moins en mode Histoire. En effet pour celles et ceux qui veulent stimuler un peu plus leurs petites cellules grises, deux autres modes de difficulté sont disponibles. Le mode Détective et le mode Herculéen qui rendent certaines énigmes plus corsées, désactivent certaines aides (voire toutes), suppriment les déductions de la carte mentale et ajoutent même des fausses pistes.

Une fois le puzzle, et donc le mystère résolu, ce n’est pas tout à fait fini puisque le jeu bascule dans un nouveau mode étrange ou tous les personnages se figent sauf Hercule Poirot ou Jane qui doivent se balader dans les différentes étapes de la chronologie des faits pour replacer chaque personnage impliqué aux bons endroits, en fonction de l’heure. C’est assez sympa et plutôt bien fait. On s’amuse à reconstituer la scène de crime étape par étape comme on réaliserait un puzzle. Une fois la chronologie des faits établis, c’est l’heure de la confrontation, typique des romans d’Agatha Christie.

A dire vrai, s’il n’y avait l’ambiance seventies, qu’encore une fois, on ne ressent vraiment qu’à travers certains lieux et surtout via les chemises à grosses fleurs et les pantalons « patte d’eph » de certains personnages, le jeu resterait très classique et très proche du roman d’origine mais aussi des derniers jeux Hercule Poirot de Microids.

Seulement le jeu innove en entrecoupant l’enquête d’Hercule Poirot, d’une autre enquête très différente. En effet, en parallèle à la croisière sur le Nil que l’on s’attend forcément à faire à un moment ou à une autre, Jane Royce mène une autre enquête plus sportive et rythmée en tentant de comprendre et de venger la mort d’une amie proche qui s’apprêtait à révéler un scandale. C’est quasiment un autre jeu dans le jeu.  Les deux enquêtes finiront par se rencontrer mais il faut bien reconnaître que c’est un peu incongru. Certes, cela apporte de la variété et du rythme mais les transitions entre les deux enquêtes sont parfois abruptes. Heureusement au fur et à mesure, on se prend au jeu d’autant plus qu’à certains moments, Jane devra faire des choix qui ne seront pas sans conséquences lorsque le final se profilera à l’horizon.

Rendez-vous avec le beau

Visuellement, le jeu est plutôt réussi. La direction artistique et la réalisation sont excellentes avec de magnifiques décors conçus avec soin et un souci de réalisme (et de vérité historique). Il y a des tas de détails sympas dans le décor comme des pochettes de disque vinyle seventies, des tas d'objets et et de meubles échappés des années 70, des graffitis faisant référence à des groupes de l'époque ou encore des publicités rétro plus vraies que nature. Dommage que les personnages soient si rigides dans leurs animations ou leurs mimiques avec des traits de visage très caricaturaux.

Dans les adaptations cinématographiques de Mort sur le Nil, les réalisateurs ont toujours pris soin de choisir des stars ou des acteurs confirmés afin de rendre justice aux personnalités des personnages d’Agatha Christie. C’est donc vraiment dommage que les personnages du jeu soient si peu charismatiques visuellement (surtout qu’ils gardent les mêmes vêtements dans des scènes pourtant éloignées dans le temps l’une de l’autre) et qu'ils aient parfois l'air d'automates échappés de Mondwest. Mais pas de panique, cela ne gâche pas vraiment le jeu qui reste vraiment solide. Et ce n’est finalement qu’un détail puisque le doublage vient contrebalancer cette impression.

Le doublage français est, il faut le mentionner, une vraie réussite avec de belles performances qui nous entrainent en définitive dans un véritable film interactif. Ce sont les acteurs qui donnent véritablement vie aux personnages. Dans le même ordre d’idées, la musique est aussi un élément à mettre au crédit du jeu puisqu’elle accompagne parfaitement l’action avec des moments vraiment intenses- si on excepte les faux tubes disco qui reprennent des boucles connus et qui peuvent vite devenir saoulant.

Au final, l’ajout de Jane Royce et d’une nouvelle histoire très série B(lackploitation) ne nuit en aucun cas à l’œuvre originale même si elle peut sembler anachronique pour ne pas dire WTF.  Elle permet même aux équipes de Microids de bien respecter le personnage d’Agatha Christie sans se sentir contraint de le moderniser.  L’enquête de Jane est à part et permet d’apporter un peu de fraicheur et même d’aborder des thématiques plus modernes, sans toucher le matériel de base. Le jeu étant soigné, très travaillé et amusant (c’est quand même le but d’un jeu vidéo), c’est finalement un mélange détonnant et gagnant. Il vous permettra de passer une vingtaine d’heures pleines d’énigmes, de casse-têtes variés et de rebondissements qui pourraient vous surprendre, même si vous êtes fans du roman et le connaissez par cœur. pour autant, il est clair que le jeu ne s'imposera pas comme la version de référence de Mort sur le Nil mais plutôt comme une relecture originale et amusante.

Les moins indésirables

Pour autant, tout n’est pas parfait. Il y a toujours des petits soucis dans le gameplay comme des actions ou des conversations qui ne s’enclenchent pas ou qui sont difficiles à enclencher ou encore le fait qu’on ne peut pas aller plus vite que le jeu même lorsqu’on a trouvé la solution. Le changement d'intrigue et de personnage est parfois soudain et agaçant car, surtout au départ, c'est vraiment deux salles, deux ambiances. Certaines énigmes et même certains passages sont en outre moins maîtrisés (et pertinents) que d’autres. Il y a même quelques répétitions inutiles. De plus avec Hercule, il y a parfois des allers-retours un peu pesants surtout qu’Hercule est assez lent même lorsqu’il court, marche vite. Pour autant, si vous aimez les jeux d'enquêtes (et les romans d'Agatha Christie) vous passerez un bon moment avec cet Agatha Christie : Mort sur le Nil (et après, vous aurez sûrement envie de revoir le film de John Guillermin et la version télé avec David Suchet- il faut toujours revenir à ses classiques !)

 

 

Retrouvez le barème des notes des tests de Nintendo-Master 

8
Agatha Christie : Mort sur le Nil prouve une nouvelle fois le savoir faire de Microids en matière de jeux d’enquête. Réalisé avec soin et bourré de défis, de casse-têtes et de mystères à résoudre, le jeu est simple et très agréable à prendre en main. Il propose différents niveaux de difficulté pour permettre à tout le monde de  faire (plus ou moins) chauffer ses petites cellules grises et à l'arrivée, le jeu s'avère être une relecture amusante et très originale de l’œuvre d’Agatha Christie qui surprendra même les fans qui, forcément, la connaissent par cœur.

  • Réalisation soignée
  • Ambiance 70s originale
  • Carte mentale améliorée
  • Des énigmes variées
  • Une bande son et un doublage réussis
  • Une belle durée de vie
  • Quelques soucis de gameplay
  • Des personnages rigides au possible
  • Quelques séquences et énigmes redondantes

rifraff

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