C’est suffisamment rare pour mériter d’être souligné : un nouveau jeu de skate vient de débarquer, et il s’appelle Skate Story. Mieux encore, il prend ses distances avec les codes bien huilés popularisés par Tony Hawk, puis revisités par nombre de jeux. Ici, pas de célébration nostalgique de la culture skate urbaine de la fin des années 90 ou du début des années 2000, mais une proposition bien plus singulière, à l’ambiance volontairement décalée. Alors on ressort son plus beau baggy, son t-shirt Thrasher qui n’a plus vu la lumière depuis le dernier album de Nirvana, et on part voir ce que ce Skate Story a réellement dans le ventre.
Un suppôt et Ollie
Développé par Sam Eng et édité par Devolver Digital, Skate Story nous met dans la peau d’un démon à qui le Diable fait une offre pour le moins inhabituelle : avaler toutes les lunes afin de gagner sa liberté et quitter les enfers. Pour accomplir cette tâche pour le moins insolite, il nous faut rien de moins que le meilleur moyen de locomotion qui ait existé: non pas d’une trottinette électrique ni d’une voiture, mais bien du skate (l’écologie avant tout). En plongeant toujours plus profondément dans les strates de l'enfer, il faudra donc dénicher ces fameuses lunes (car oui, il y en a plusieurs) et les engloutir une à une.
Ce périple est aussi l’occasion de croiser une galerie d’âmes tourmentées, incarnées par des bestioles plus où moins avenantes, et de parcourir des environnements particulièrement inspirés. Après tout, qui a décrété que l’enfer devait forcément être morne et terne? Certes, la palette chromatique tire généreusement vers le noir, mais la variété est bel et bien au rendez-vous, et c’est franchement appréciable.
Les amateurs d’esthétique néo-rétro, de stroboscopes et de contrastes appuyés devraient y trouver leur compte. Sans être totalement unique, Skate Story affirme clairement une identité visuelle forte, portée par une direction artistique cohérente, capable de titiller durablement la rétine. Visuellement, le constat est sans appel : ça bouge bien, et la direction artistique claque.
Avec la profusion d’effets à l’écran, on pourrait craindre une lisibilité mise à mal, à l’image de ce flou cinétique, cache-misère trop souvent utilisé à tort et à travers, mais le minimalisme chromatique permet finalement de s’y retrouver sans difficulté. Tant mieux, car le jeu n’hésite pas à nous projeter dans des niveaux exigeant des réactions au quart de tour.
Chaque strate de l’enfer nous propulse ainsi dans des niveaux variés, mettant en avant différentes pratiques du skate, de la descente au freestyle. Les contrôles se montrent d’une simplicité désarmante : on se déplace à pied, un bouton suffit pour enfourcher la planche, et voilà. Bien sûr, on peut sauter, enchaîner les tricks via quelques combinaisons de boutons et grinder sur à peu près tout ce qui dépasse, mais l’ensemble reste très accessible. La physique du skateboard est étonnamment bien retranscrite, débarrassée toutefois de la gestion de l’équilibre et des gadins qui vont habituellement avec.
Comme sur des roulettes
Adossé à un système de combo et de scoring on ne peut plus simple, le gameplay se révèle parfaitement fonctionnel et tient solidement la distance sur les cinq heures nécessaires pour boucler l’aventure. Il s’adapte efficacement aux différents contextes proposés : défis de tricks spécifiques, combat de boss où il faudra exécuter des combos où encore parcours d’obstacles. La variété est d’ailleurs bien plus généreuse qu’on ne pourrait l’imaginer de prime abord.
Le tout se déroule dans des décors hypnotiques et un contexte volontairement chaotique, nous faisant passer sans transition d’une station de métro à une laverie pour nettoyer le linge du Diable, après avoir traversé un collège dirigé par des philosophes quelque peu perchés. Un ensemble qui peut sembler foutraque au premier abord, mais qui fonctionne étonnamment bien une fois lancé, même si on a du mal à y comprendre le sous-texte.
Le pari est donc réussi : Skate Story parvient à donner de l’épaisseur à son univers et à éviter le décalage souvent perceptible entre phases de dialogue et séquences de jeu. Entre les sensations de glisse particulièrement réussies et cette ambiance hypnotique, il y a clairement de quoi se laisser séduire.
Mais puisqu’il faut bien lui trouver quelques défauts, signalons des collisions parfois capricieuses, en particulier lors des phases d’atterrissage. Qu’un grind refuse de passer peut encore relever d’un simple manque de maîtrise ; en revanche, se retrouver à défier les lois de la gravité parce que la planche s’est accrochée là où elle n’aurait pas dû, c’est une autre histoire. On notera également une traduction parfois approximative, avec quelques segments qui restent en anglais.
Cela dit, plus un jeu est réussi, plus les reproches que l’on peut lui adresser relèvent du détail. Skate Story s’en sort d’ailleurs très honorablement sur le plan technique. Sam Eng a fait l’impasse sur une version Switch pour se concentrer directement sur sa successeure, un choix qui peut surprendre au regard de l’excellente fluidité de Zarvot, son précédent jeu, sur cette dernière. Néanmoins, compte tenu de la taille extrêmement réduite de l’équipe de développement (qui n’occupe même pas 5% des crédits) ce recentrage sur un seul support apparaît comme une décision logique. Et au vu des performances et de la qualité visuelle proposées, sans compromis notable face à la concurrence, la déception n’est clairement pas au rendez-vous.
Un mot enfin sur la bande-son, composée par Blood Cultures et John Fio, qui alterne entre synthés percutants et nappes atmosphériques. Certains morceaux marquent durablement les esprits et accompagnent parfaitement l’expérience, au point de devenir indissociables de l’univers du jeu.

