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Philipe #9

Résume de l’épisode précédent: Philipe s’est fait kidnapper.

Ma kidnappeuse continuait à me raconter sa vie tout en conduisant. Je ne vais pas tout vous re-raconter, on a déjà fait deux chapitres avec des monologues rigolos, on va passer à autre chose un peu, hein. La voiture roulait, donc. Probablement vers le soleil couchant. En une petite heure (j’avais compté sur mes doigts) nous étions arrivés à destination. Elle transporta mon saladier, toujours recouvert du torchon, jusque dans ce que je devinai être son lieu d’habitation. Elle posa le saladier, et, enfin, retira le torchon.
« Je suis sûre que tu te demandes pourquoi j’ai mis un torchon sur ton saladier, hein? Mais oui tu te le demandes, parce que perso moi à ta place je me le demanderai. Ça veut pas dire que tout le monde se demande les choses que je me demande, comme par exemple tout le monde se demande pas comment les poney font pour étaler leur jus de truite sur leurs tartines, mais ils devraient se le demander, tu crois pas, enfin bref. Le torchon. On ne mélange pas les torchons et les serviettes. Au début, j’avais pas tout compris forcément, je suis pas aussi maligne que euh quelqu'un de malin, euh Jack Lang, ou Derrick par exemple enfin bon tu vois ce genre de gens pleins de malignité, mais en promenant mon chien la semaine derrière, ah, paix à son âme, il est mort le mois dernier, j’ai compris que si on mettait un bandeau devant des yeux, et bin on pouvait plus voir, alors j’ai préparé un plan, et j’ai finalement trouvé que si on mettait un torchon, ça pouvait faire un bandeau, sauf que tes yeux, ils sont trop petits, mais le principal, c’est que… »
J’avais promis de plus raconter ce qu’elle disait, pardon, mais c’est trop bon. Toujours est-il que très vite, je n’écoutais plus que d’une oreille, tout en observant attentivement la décoration de l’intérieur de ma ravisseuse pas ravissante (woh bâtard elle est bonne celle-là;)). Et il y avait de quoi observer. J'étais posé sur une commode, dans ce qui semblait être sa chambre, entre un nain de jardin borgne et une reproduction de la Joconde avec un appareil dentaire. Au-dessus de moi, accroché sur le mur, un poster dédicacé de Roger Féquaka, le célèbre champion du monde de pêche à la moule marinière. Je pouvais également apercevoir une couverture à motifs écossais recouvrant le lit. Dessus était scotchée toute une ville de petits Playmobile. Tous les bâtiments nécessaires à l'économie d'une ville normale étaient fidèlement reproduits: le magasin de chaussures, l'écurie, le coiffeur, la poissonnerie, la poste. Ma kidnappeuse se pencha immédiatement vers la réplique de la poste et demanda au Playmobile qui était derrière le comptoir:
"Alors, vous avez reçu une lettre de Philippe? Moi je lui écris tous les jours, je sais que vous avez beaucoup de clients, mais quand même, faut pas abuser des fois, les gens profitent toujours de ma gentillesse, mais ça va changer maintenant! Bouahahah."
Elle se redressa, regarda la ville de haut, puis soupira en disant "Allez, ça ira pour cette fois, vous n'y êtes pour rien après tout!". Elle se repencha pour serrer la main et faire la bise à tous les habitants avec ferveur. Puis elle se retourna vers moi. Elle réfléchit quelques instants avant d'ouvrir la bouche. Je vis un éclair de génie passer dans ses yeux, et elle sourit aussi diaboliquement qu'elle pouvait le faire (ses modèles de sourires diaboliques étant limités aux propriétaires de truites (dans les histoires hebdomadaires de Truite Passion, vous savez), qui ne voulaient jamais laisser la brave petite héroïne fuguer avec sa truite préférée, mais ceci est une autre histoire).
Elle se pencha vers moi.
"Je vais me présenter... Mais je ne vais te donner mon vrai nom, sinon si jamais le propriétaire de trui... euh, si Philippe te retrouve, tu lui diras qui je suis... Non... Appelle-moi Mary. Gné hé hé."
Et elle retourna dans le salon pour broder des petits pulls aux habitants de Playmobile City. L'hiver était déjà là.