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Pause Lecture : Explorer Hollow Knight de David Torres chez Third Éditions

Par babidu - Le 01/08 à 08:00

Je garde un souvenir assez piquant de ma première rencontre avec Hollow Knight. Confiné en 2020, j’espérais un metroidvania sympathique, avec une belle ambiance et une aventure pas si difficile pour un amateur de Souls. Bien mal m’en a pris, j’ai surtout trouvé un labyrinthe lugubre, un bestiaire vorace, une aventure souvent austère en début de partie, et des écrans "Game Over" à la chaîne. J’ai rangé la cartouche après environ trente pour cent de l’aventure principale, frustré et un peu vexé, moi qui avale et digère les jeux From Software sans trembler ni faillir.
Cette frustration vient surtout du regret d’être passé à côté d’un jeu très important pour le média vidéoludique, et de l’impression de ne pas avoir su, moi aussi, monter dans le train Hollow Knight à temps. Là où un Dark Souls me pousse à aller plus loin, Hollow Knight me laissait souvent sans piste, perdu dans un monde labyrinthique et sourd, sans même un feu de camp pour me rassurer. Et pourtant, quelque chose me titille toujours. Ce monde, cette direction artistique, cette musique, cette aura. Hollow Knight me hante, malgré moi.
Aujourd’hui, je sais que je ne me relancerai pas dans l’aventure de sitôt. Je connais les dégâts irréparables que l’abandon d’un jeu en cours provoque : plus envie de recommencer depuis le début et impossible de reprendre là où j’en étais, avec des souvenirs vagues et confus.

Quand Third Éditions a annoncé Explorer Hollow Knight de David Torres, j’ai vu l’occasion de reconquérir Hallownest…  cette fois loin de ma manette. Peut-être que si je ne peux pas le jouer, je peux au moins le lire. Et lire, ça je sais faire. Encore plus quand l’expérience de lecture est aussi fluide et instructive que sous la plume de David Torres. J’ai eu le plaisir de recevoir le livre de la part de Third Éditions et j'ai donc dévoré ces pages comme on croque un plaisir coupable, savourant enfin l’univers que le gameplay m’avait caché.

Et franchement, quelle bonne idée. Car ce livre est tout sauf un simple résumé. C’est une véritable exégèse, une fouille minutieuse du vide, des ténèbres et aussi de la lumière d’Hallownest, du gameplay et du lore, de la genèse du jeu jusqu’aux moindres détails de son univers. J’ai lu chaque page avec la saveur d’une lecture volée, presque usurpée, avec ce sentiment étrange de vaincre enfin Hollow Knight… mais à ma manière. En me le réappropriant. En le comprenant. Et plus je lisais, plus je me disais que peut-être, cette œuvre-là méritait d’être abordée autrement. Pas dans la douleur, mais dans le calme et la lenteur. Pas par les réflexes acérés demandés par le jeu mais par la lecture.
Peut-être que je me suis définitivement interdit de me replonger dans le jeu en lisant ce décryptage complet. Peut-être que je me suis spoilé tout ce qu’il me restait à découvrir après sept ans de memes sur Internet et une partie déjà bien entamée. Mais je pense surtout m’être enfin exorcisé de Hollow Knight et de la meilleure des manières.
J’en étais réduit à prendre ma Nintendo Switch en vacances, lors de l’été 2021, avec uniquement Hollow Knight en cartouche, pour me forcer jusqu’au dégoût à retenter l’aventure. Maintenant, c’est bon, je suis guéri. Grâce à ce livre et à son auteur.

Si je vous parle autant de mon expérience personnelle, c’est pour appuyer le fait que ce livre s’adresse, certes, avant tout aux grands fans d’Hollow Knight, ceux qui pourraient payer 1 000 euros pour obtenir enfin le précieux sésame Silksong. Mais il s’adresse aussi aux personnes comme moi, qui n’ont pas pu, pas su, aller au bout du jeu, et chez qui cette frustration provoque une sorte de vide dans leur culture vidéoludique. Comme une impression de regarder une fête à laquelle on n’est pas convié, depuis la fenêtre.
Mais si nous n’avons pas vu la pièce de théâtre de nos propres yeux, mais nous disposons désormais d’une captation vidéo qui zoome sur les visages des acteurs. Une autre manière d’apprécier et de savourer l’expérience.

Dès les premières pages du livre, David Torres revient sur le monstre Hollow Knight en partant de la naissance du projet, via les game jams, citant notamment Return to Booty Grotto comme un précurseur insoupçonné. Déjà à l’époque, William Pellen expérimentait avec ce jeu un univers fouillé, "chaque concept jouissant d’une justification diégétique", une phrase qui pourrait servir de mantra au jeu.
On découvre à quel point Hollow Knight est le fruit d’un soin obsessionnel : jusqu’au moindre détail, jusqu’aux transitions, aux boss, aux silences. J’ignorais totalement ce pan de la vie des créateurs, m’étant naïvement arrêté à Hungry Knight, la démo souvent évoquée comme note d’intention. Mais il est parfois difficile de s’y retrouver dans tous ces jeux issus de game jams devenus, presque malgré eux, les piliers du jeu indépendant moderne, ou à défaut, les prémices de futurs piliers du jeu indépendant.
En ce sens, la lecture de cette enquête claire, précise et méthodique sur les véritables débuts de Team Cherry, avant même que Hollow Knight ne soit un projet à part entière, m’a permis de mesurer l’ampleur du travail de ses créateurs, de mieux comprendre leur passion pour les univers entièrement diégétiques et, sans doute aussi, de mieux comprendre les huit longues années (et on continue le décompte !) nécessaires au développement de Silksong, simple DLC devenu la suite la plus attendue de la décennie, devant même The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom.

Hollow Knight a souvent des allures de casse-tête insurmontable, avec sa difficulté, son univers labyrinthique et hostile, surtout pour ceux qui jouent le jeu sans aller chercher de cartes sur Internet. Mais j’ai finalement compris, sous la plume de l’auteur, qu’Hollow Knight est surtout une série de cadenas, qui ne demandent que les bonnes clés pour s’ouvrir.
Des clés de décryptage que j’ai pu découvrir durant ma lecture.
Hollow Knight n’est pas dur, il est exigeant. Son univers n’est pas austère, il est tragique. Son gameplay n’est pas punitif, il est acéré.

Il en va de même pour le livre de David Torres. Lire deux cents pages sur un jeu que j’ai autrefois détesté par pure frustration peut sembler paradoxal. Pourtant, dès les premières lignes, j’ai senti que c'était exactement ce qu'il me fallait. Car à la manière du jeu sur lequel il s’appuie, ce livre n’est pas un simple essai : c’est aussi une aventure, une enquête sur ce que signifie réellement explorer un metroidvania aujourd’hui.
Comment passe-t-on de Super Metroid, que l’on pensait déjà indépassable dans son genre, à Hollow Knight, ce Soulslike en deux dimensions aussi exigeant que fascinant, qui pousse encore plus loin les logiques d’errance, de solitude et de maîtrise ? Et comment comprendre pleinement ce triangle d’influences qui relie les Metroid 2D aux jeux From Software, puis à Hollow Knight, avant de redescendre vers Metroid Dread, ce dernier semblant presque lui répondre, comme deux faces d’une même pièce, celle représentant le Metroidvania moderne et ces deux approches.

Le livre prend le temps d’analyser sans jamais assommer. Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est la manière dont l’auteur tisse des ponts entre Hollow Knight et d’autres œuvres vidéoludiques ou culturelles, sans jamais perdre de vue son sujet. Pour rapprocher le jeu du genre des J-RPG auquel il rend hommage, l’auteur évoque les influences religieuses, les univers d’inspiration japonaise, les chutes d'idoles ou les résurrections et à travers ces parallèles, c’est tout un imaginaire commun qu’il éclaire. Pas besoin d’avoir lu tel manga ou joué à tel J-RPG pour ressentir les échos, les thématiques parlent d’elles-mêmes. Comme dans le jeu, ou tout du moins ma vision de celui-ci, il y a cette volonté d’évoquer sans tout expliquer, de laisser des vides pleins de sens, à remplir soi-même. Les ténèbres d’Hollow Knight sont éclairées de bien des façons dans ce livre, et c’est ce qui en fait sa grande force.

Entre deux sections plus analytiques, on découvre aussi de courts fragments de fiction. Des bulles d’univers parallèle, un peu étranges, parfois poétiques, parfois troublantes, mais qui ajoutent de la matière. Dans ces extraits fictifs, qui prennent la forme de citations fantômes d’un ouvrage imaginaire, l’auteur nous plonge dans le journal d’un personnage ayant lui aussi traversé l’aventure. À travers lui, c’est la légende du Chevalier sans nom qui nous est transmise et probablement de la plus belle des manières. Ce genre de passage rappelle ces moments suspendus dans Hollow Knight où, entre deux zones mortelles, une lueur fragile surgit sans prévenir. Et c’est ce mélange-là que j’ai aimé dans le livre : une lecture qui éclaire, mais qui sait aussi laisser place à l’émotion.
J’ai refermé l’ouvrage avec l’impression étrange d’avoir fantasmé Hollow Knight, plutôt que d’y avoir (mal) joué.

Explorer Hollow Knight, c’est exactement ce qu’il me fallait. Une deuxième chance, sans la pression des boss, sans la peur de s’égarer. Une lanterne dans le noir pour éclairer les couloirs de mon impasse vidéoludique. Un décryptage sans prétention du jeu, une lettre d’amour sincère et des clés de compréhension, c'est tout cela que ce livre représente. Et pour moi, qui n’ai jamais vu la fin du jeu, ce livre m’offre enfin une forme de clôture avec toute cette histoire. Un point final à mes regrets mais pas à l'aventure Hollow Knight. Je ne sais pas si je retenterai un jour l'expérience mais j'ai plus qu'envie de me laisser tenter par sa suite Silksong. Je sais désormais pourquoi le Chevalier sans nom a marqué tant de joueurs. Et rien que pour ça, merci David Torres.

Explorer Hollow Knight – Le renouveau du Metroidvania est disponible chez Third Éditions au prix de 24,90 euros. Cliquez ici pour le commander.