Master Retrospective : Rare et Nintendo
Rareware. C'est le nom de cet ancien studio de développement britannique d'exception, à l'histoire surprenante, qui aura marqué une période importante dans l'historique de Nintendo. On connaît « Rare » de son abréviation, en tant que pilier de développement important lors du passage de la 2D à la 3D des licences de Nintendo et notamment sur Nintendo 64 avec de nouvelles licences telles que GoldenEye 007, Banjo-Kazooie et Donkey Kong 64. On se souvent également de cette rupture mémorable entre le studio et la firme de Kyoto à la fin de l'année 2002 qui a mis les joueurs de l'époque dans tous leurs états et qui marque la fin d'une ère vidéoludique. Mais entre 1982, date de création de l'entreprise, et 2002, date de sa vente à Microsoft, l'entente cordiale entre Rare et Nintendo aura été mouvementée et ponctuée par des hauts et des bas. Il est indéniable pourtant que cette relation aura surtout marqué la période dite « des jeux 3D », une sorte d'Age d'or qui fait que l'on ne pourra plus dissocier Rare de Nintendo dans l'esprit des gamers.
Une start-up qui fait ses preuves au Royaume-Uni
A ses prémices, Rare n'est qu'une petit entreprise du nom d'Ashby Computer & Graphics créée par deux frères, Tim et Chris Stamper, qui s'affairent à réparer des bornes d'arcades. Plus tard, cette initiative prend le nom d'Ultimate Play the Game et se focalise réellement sur la conception de jeux vidéo, dont le premier ayant un succès conséquent est Jetpac sur ZX Spectrum. Il est bien reçu par la presse de l'époque qui ne lui trouve « aucun réel défaut » et le considère globalement comme étant un excellent jeu. Écoulé à près de 300 000 exemplaires, le titre donne ainsi à la petite start-up une assurance de renommée dans le domaine vidéoludique, ce qui leur incite à poursuivre leurs efforts.
Le premier contact avec Nintendo s'effectue à l'époque de la Famicom (Nintendo Entertainment System). Le potentiel de la console est rapidement appréhendé par les frères Stamper qui, désireux de tâter l'engin, convainquent Nintendo de les laisser développer des jeux dessus. C'est à cette période qu'ils revendent une partie de leur petite société à U.S. Gold et qu'ils prennent le nom de Rare Ltd. Sous cet étendard, ils peuvent sortir en 1986 leur tout premier jeu sur NES et sur borne d'arcade (Nintendo Vs. System.) intitulé Slalom, un jeu de ski qui comprend, entre autre, la toute première bande-son du compositeur légendaire David Wise. Relativement simpliste, le jeu a le mérite « de faire ressortir le meilleur de la NES » selon les critiques de l'époque. Par la suite, Rare produit plus d'une quarantaine de jeux sur la première Game Boy. Ils peuvent ainsi faire usage des bénéfices engrangés pour investir dans des systèmes de conceptions vidéoludiques performants fabriqués par l'entreprise Sillicon Graphics. Rare devient le studio de développement le plus sophistiqué du Royaume-Uni et adopte une posture internationale.
Un Age d'Or en 3D
Cette évolution du mode de fonctionnement de l'entreprise fait de l'effet au responsable Nintendo de la branche R&D (Recherche et Développement), Genyo Takeda. Ainsi, sous l'impulsion de ce monsieur, Nintendo rachète 49% des parts de Rare, qui devient de ce fait un studio de développement annexe de la société japonaise. « Rare » se renomme « Rareware » et lorsque Nintendo propose aux frères Stamper de piocher dans leur catalogue de personnages dans l'optique d'en faire un jeu, ils choisissent Donkey Kong. Il en découle la sortie phénoménale de Donkey Kong Country sur Super Nintendo, qui est une étape cruciale pour l'entreprise. Le titre s'est vendu à 9,3 millions d'exemplaires dans le monde (un record toujours inégalé pour un titre de la saga Donkey Kong). Il est prisé pour son caractère innovant vis à vis de la licence Donkey Kong, avec des graphismes dotés d'effets visuels charmants, un gameplay varié de par la capacité à pouvoir intervertir entre les deux personnages Donkey et Diddy qui possèdent chacun des caractéristiques différentes et complémentaires, et bien d'autres éléments aguicheurs de la sorte. L'apogée du jeu, située entre 1994 et 1995, pousse Rareware à le rééditer sur d'autres supports Nintendo comme Game Boy Color et Game Boy Advance. En 1995, rebelote ! La société sort le second opus du titre à succès de l'an passé avec quelques modifications et ajouts bénéfiques qui lui octroient une réussite tout autant considérable que celle du premier.
Désormais bien ancré sur la SNES, la société Rareware s'élance avec enthousiasme vers la conception de jeux sur Nintendo 64 et participe donc au processus historique du passage de la 2D à la 3D chez Nintendo, et ce non sans exploit. En effet, le titre phare GoldenEye 007 sort sur Nintendo 64, développé par une équipe de dix développeurs dont 8 d'entre eux sont inexpérimentés en matière de jeu vidéo. Le FPS déclenche là aussi une bombe et un flot de ventes qui se compte, une fois de plus, en millions. Le titre reprend l'intrigue et le cadre du film incluant le mythique personnage de James Bond qui sort la même année (1995) et qui met à l'écran le très charismatique Pierce Brosnan. Il s'agit du troisième jeu le plus vendu de la Nintendo 64, derrière Super Mario 64 et Mario Kart 64. Pour l'anecdote, l'équipe de développement en charge du jeu avait la possibilité de faire en sorte que le joueur puisse choisir son James Bond, ou du moins l'acteur qui l'incarnerait durant l'aventure. Les skin de Sean Connery, Timothy Dalton et Roger Moore auraient dû être présents sur un écran de sélection avant d'entamer une partie, mais Rareware décida d'abandonner l'idée afin d'éviter de payer des droits aux acteurs en question. Quatre des membres de l'équipe de développement du jeu GoldenEye 007 quittent ensuite Rareware pour fonder leur propre studio, Free Radical Design, qui deviendra plus tard Crytek UK. Avant de partir, ils développent une suite spirituelle de GoldenEye 007 : Perfect Dark. Le titre tourne avec une version optimisée du même moteur que celui de GoldenEye 007 et reçoit de bonnes critiques, s'accordant à dire qu'il s'agit d'une suite spirituelle tout à fait légitime et réussie.
D'autres licences de jeux 3D arrivent ensuite. Une licence tout à fait inédite est créée par le studio, c'est Banjo-Kazooie, un jeu de plate-forme qui, en 1998, a un impact remarquable sur les communautés de gamers. Le jeu met en scène un ours nommé Banjo et son compagnon d'aventure, un oiseau femelle au caractère impétueux du nom de Kazooie. Les deux personnages se doivent de battre la sorcière Grunty vivant dans sa tanière en surplomb de la Montagne Perchée. Le gameplay du jeu est très proche de Super Mario 64 et il est souvent été désigné comme étant un « clone » de ce titre. Les médias qualifient même le jeu d'un Super Mario 64 amélioré, « plus complexe et plus fluide ». Le titre profite d'une bande-son entraînante, conçue par le game composer Grant Kirkhope, l'une des deux figures de son domaine avec David Wise. Il s'avère que le titre devait sortir, à la base, sur SNES sous une forme radicalement différente et dont le projet avait pris le nom de code de Project Dream. Finalement, il est retravaillé avant d'être publié et devant son grand succès, une suite directe est développée: Banjo-Tooie, toujours sur N64 et paraît en 2000.
"Je t'aime. Moi non plus."
L'entrée de Rareware dans le deuxième millénaire est marquée par la naissance de tensions entre le studio et sa société mère. Nintendo fait état d'un manque de créativité accablant de la part de Rare, tandis que même Shigeru Miyamoto critique, entre autre, la similarité tape-à-l'oeil entre son Super Mario 64 et Banjo-Kazooie. La firme de Kyoto revend les actions détenues du studio Rare à Microsoft qui fait la meilleur offre, laissant sur la touche EA et Activision, pour un montant de 337 millions de dollars. Avant de partir de chez Nintendo, Rare annule tous ses projets en cours, tous sauf un. Le studio travaillait sur un titre exclusif nommé temporairement « Dinosaur Planet » le temps de sa conception. La trame de base est totalement abandonné, et devant la ressemblance frappante des character design des personnages avec ceux d'une autre licence populaire, Nintendo décide d'en faire un Starfox. C'est ainsi que naît Starfox Adventures qui, pourtant sensé sortir sur Nintendo 64, est sur Gamecube. Starfox Adventures est bien accueilli même si certains clament une trahison vis à vis de l'esprit initial de la licence Starfox, visant ainsi le contexte dans lequel se déroule l'aventure. Il s'agira ici du tout dernier jeu que publiera Rare sous l'égide de Nintendo, événement qui clôt le chapitre de cette belle histoire commune qui aura duré 20 ans.
Un héritage disséminé ?
Beaucoup considèrent la reconversion de Rare chez Microsoft comme la mort de l'entreprise. Néanmoins, la relation qu'a entretenu Rare et Nintendo a laissé des traces profondes et aura été tellement marquante que certains ex-employés de chez Rare veulent retenter le coup. Phil Tossell fait partie de ces nostalgiques, ayant travaillé sur le développement de Diddy Kong Racing à l'époque de la N64. Il est le co-fondateur du studio indépendant Nyamnyam qui s'apprête à sortir un titre eShop, du nom de Tengami, s'annonçant imprégné d'une atmosphère hautement poétique. En effet, interpelé par les features du GamePad et celles de la Wii U, Nyamnyam tenta de vanter les mérites de son produit en préparation dans l'optique de populariser le titre auprès de Nintendo qui a accepté le marché. Le compositeur Grant Kirkhope a également exprimé sa volonté de participer à l'élaboration d'un Banjo 3 sur Wii U. On voit donc que l'héritage de cette relation Rare-Nintendo survit disséminé partout ou la diaspora des membres du studio d'origine les a conduit à développer des jeux en emportant un peu de l'âme de ce dernier.