Les Légendes de Tomb Raider, entretien avec Thomas Méreur
Nous avons donc proposé à Thomas Méreur de prolonger la discussion. Pendant un long entretien en vocal sur Discord, il est revenu sur la genèse du projet, son rapport au game design, la chute de Core Design, la place de Lara Croft dans la pop culture, ses méthodes d’écriture entre articles et livres, mais aussi sur son envie récente de se frotter lui-même au développement de jeux vidéo.
De l’alignement de planètes qui a propulsé Lara au rang d’icône à la métaphore d’Icare qui accompagne L’Ange des Ténèbres, en passant par les débats autour de la représentation des héroïnes dans le jeu vidéo, Thomas Méreur partage ici avec nous les coulisses de son travail et son regard sur une saga qui continue de le hanter. Et comme nous sommes sur Nintendo Master, impossible de ne pas terminer la discussion par quelques questions sur Nintendo Switch, Nintendo Switch 2 et l’idée d’un éventuel livre consacré à une licence de la firme du plombier moustachu.

Au départ, l’idée d’un livre sur Tomb Raider vient d’une blague dans un mail à Third Éditions . Tu peux nous raconter comment cette plaisanterie se transforme en vrai projet de livre ?
Oui. À la base, je suis en plein dans l’écriture des livres Assassin’s Creed. J’écris les deux tomes presque d’une traite, mais on met le second en pause en attendant la sortie de Assassin's Creed Mirage. Concrètement, j’ai terminé le tome 2 en novembre 2022, presque un an avant la sortie du jeu, ce qui fait que je me retrouve d’un coup “en pause d’écriture” alors que mon cerveau est encore lancé à fond.
Je savais que Third n’avait pas de livre sur Tomb Raider et c’est une série que j’adore, qui a marqué ma vie de joueur. Quand j’envoie mon dernier chapitre sur Valhalla, je glisse dans le mail à Mehdi [Ndlr : Mehdi El Kanafi est l'un des co-dirigeants de Third Éditions et il a édité les trois ouvrages de Thomas Méreur au sein de cette maison d'édition] un truc du genre : “Bon, maintenant je vais me lancer sur Tomb Raider”. C’était une boutade, mais aussi une manière de tâter le terrain.
Début 2023, alors qu’on attend toujours Mirage et que je ne peux pas avancer sur le tome 2, on se réécrit avec Mehdi et la question tombe vraiment : “Tomb Raider, tu serais chaud ou pas ?” Là je refais comme pour Assassin’s Creed : je commence à beaucoup lire, à lancer la phase de documentation. Et une fois que tu mets le doigt dans les recherches, c’est terminé, tu sais que tu en prends pour des mois. Un plan se met vite en place, tout s’emballe et finalement l’écriture de Tomb Raider vient se “glisser” autour de celle du tome 2 d’Assassin’s Creed. Les deux projets s’emboîtent dans le temps.
Tu expliques que la fin d’écriture d’Assassin’s Creed et la préparation de Mirage ont été très sportives. Comment tu as vécu cette période où tu alternes interviews et écriture de livres ?
C’était intense, oui. Pour Mirage, j’étais pour la première fois en phase avec le “temps présent” du développement d’un jeu. Jusqu’ici, les titres dont je parlais avaient entre trois et quinze ans et les souvenirs des développeurs étaient à cette image. Là, des gens comme le directeur créatif ou la directrice de la narration m’accordent des entretiens. Ils sont en plein après coup avec la sortie du jeu, soulagement, regrets, réflexions, projection vers la suite. Moi, je cueille tout ça à chaud.
Pour Tomb Raider, la démarche est presque à l’inverse. Il y a très peu d’interviews directes, à part Paul Douglas, un des tout premiers développeurs du premier jeu, que je contacte parce qu’il y a énormément de bêtises qui circulent sur la série et que j’ai besoin de quelqu’un pour débroussailler. Pour le reste, je m’appuie surtout sur mon analyse et sur une matière déjà énorme : articles, making of, podcasts, archives de fans. C’est un travail très différent de celui mené sur Assassin’s Creed.
Les fans, aussi, ont joué un rôle précieux. Il existe une communauté de passionnés de Tomb Raider d’une minutie folle. Côté développeur, il y a Paul Douglas, qui faisait partie de la core team du premier épisode et qui m’a beaucoup aidé à distinguer le vrai du faux. Côté fans, en France, il y a par exemple Captain Alban, qui tient un site absolument monumental.
Grâce à ce type de ressources, j’ai pu accéder à des scans de magazines d’époque, des previews de quelques mois avant la sortie, des interviews oubliées. C’est du pain bénit pour comprendre dans quel état se trouvait le jeu à chaque étape.
Tu racontes aussi à quel point Lara Croft devient un phénomène médiatique. Qu’est-ce qui rend son émergence si particulière pour toi ?
Ce qui m’intéresse, c’est l’alignement de planètes. Lara Croft arrive à un moment très précis : le jeu est en 3D intégrale et spectaculaire, il est porté par la première PlayStation qui vise un public plus “adulte”, on est en pleine vague de pop féminisme à la Spice Girls et le marketing jeu vidéo explose. Tout, absolument tout, concourt à propulser Lara au rang d’icône.
Elle bénéficie aussi d’une couverture médiatique rare pour un personnage féminin. À l’époque, en dehors de Mario, on ne voit pas grand monde occuper autant l’espace. Elle finit en une de Libération en France, ce qui reste extrêmement rare pour un personnage de jeu vidéo. C’est là qu’elle franchit un plafond de verre : elle devient un symbole pop au-delà du média d’origine.

Dans le livre, tu ne caches pas le revers de la médaille : crunch massif chez Core Design, annualisation, épuisement. Comment as-tu documenté ces conditions de travail ?
Comme la série devient très vite énorme mais qu’au départ le premier jeu est développé par une équipe de six personnes à peine, la plupart d’entre eux ont ensuite accepté de parler très librement, souvent des années plus tard, dans des interviews ou des podcasts. Beaucoup ont quitté l’industrie, ils n’ont plus rien à protéger. Ils racontent ouvertement des rythmes infernaux, des nuits sur place, des périodes de crunch permanent et même un divorce !
Ce qui m’a frappé, c’est ce côté Far West. Dans les années 90, l’industrie n’est pas encore structurée. On a de jeunes développeurs qui s’éclatent, acceptent des conditions dingues, mais sont aussi payés en royalties et peuvent gagner beaucoup d’argent quand les ventes suivent. Ils reconnaissent sans détour être restés pour ça, notamment sur les épisodes 4 et 5. Ils étaient épuisés mais ils savaient qu'ils allaient toucher encore un peu d’argent.
En parallèle, Core Design devient prisonnier de Tomb Raider et rate le virage de l’industrialisation. Ils envisagent déjà de créer deux équipes pour jouer la carte de la production annuelle sur PS2, mais n’y parviennent jamais vraiment. Là où Ubisoft, plus tard, réussira à organiser une rotation de studios sur Assassin’s Creed, Core Design reste coincé dans un modèle artisanal qui ne tient plus.
Tu fais d’ailleurs un parallèle entre Assassin’s Creed et Tomb Raider : deux séries annuelles devenues monstrueuses. Comment tu as évité de projeter ton “filtre Assassin’s Creed” sur le livre Tomb Raider, ou l’inverse ?
Je ne pense pas avoir mélangé les deux approches parce que les structures des séries sont très différentes. Assassin’s Creed, c’est un long flux quasi continu, avec quelques petites pauses, mais un rythme annuel très régulier et une évolution progressive.
Tomb Raider se découpe plutôt en trois grandes périodes : l’ère Core Design, la première trilogie Crystal Dynamics, puis l’arc Survivor. À chaque fois, on est presque dans le reboot ou la réinterprétation de la série. La première trilogie Crystal essaie déjà de faire le lien avec la Lara d’origine tout en la réécrivant, la trilogie Survivor assume carrément le reboot. On a donc trois blocs assez distincts, que je peux traiter comme tels, avec mon affection personnelle marquée pour le tout premier épisode, celui de 1996, qui reste mon Tomb Raider de cœur.
Tu consacres une grosse partie du livre à l’analyse du premier Tomb Raider. Qu’est-ce qui t’a le plus fasciné dans sa conception, d’un point de vue game design ?
Il y a deux choses. D’abord, le côté “miracle” technique et humain. On parle d’une core team d’à peine six personnes, quasiment toutes débutantes, qui se lancent dans la 3D en bricolant au sens noble. Gavin Rummery, par exemple, débarque et voit l’équipe bosser sur un vieux logiciel 3D où il faut construire les niveaux en fil de fer puis lancer un calcul de textures qui prend trois quarts d’heure. Il se dit : “On ne sortira jamais un jeu comme ça” et se met à coder quasiment seul le moteur du jeu.
Ce moteur va tout changer. Il permet aux level designers de construire les niveaux en temps quasi réel, par empilement de blocs, un peu comme on le ferait aujourd’hui dans Minecraft. On est sur une construction en damier, avec des cubes plus ou moins hauts, ce qui donne une grammaire formelle très rigoureuse. Une brique, une demi-brique, un quart de brique : tout est quantifié et ça impacte directement la façon dont Lara se déplace. Quand elle marche, elle parcourt un quart de case, quand elle saute sans élan, c’est une case etc.
Ça donne un “damier virtuel” qui structure tout le gameplay, exactement comme dans le tout premier Prince of Persia où chaque saut correspond à un nombre de cases. Aujourd’hui, ça paraît rigide, mais à l’époque, les animations de Lara sont d’une fluidité folle et la sensation d’“habiter” l’espace est incroyable. Tu avances jusqu’au bord de la case, tu recules d’un saut pour prendre ton élan, tu sais que tu vas réussir ton saut si tu respectes la grammaire du jeu.
Ce qui est passionnant, c’est que des décisions prises pour se simplifier la vie techniquement deviennent le socle d’un game design ultra lisible pour le joueur, dans un jeu qui n’a quasiment pas de HUD et où le level design est volontairement labyrinthique. Ce formalisme aide à comprendre l’espace, à repérer les plateformes, à deviner les trajectoires possibles. C’est très élégant.

Tu t’es toi-même lancé récemment dans le développement de jeux. Est-ce que ton regard sur le game design de Tomb Raider t'as donné envie de développer toi-même ou bien cette analyse t'as toi aussi guidé ?
L’envie de développer vient d’un autre endroit. C’est une curiosité qui me trottait en tête depuis longtemps, mais je n’osais pas me lancer. Il y a eu un double déclic : une conférence de rédaction où mon rédac chef part du principe que tout le monde a déjà bidouillé sur un moteur de jeu, ce qui n’était pas mon cas et un documentaire sur le festival de jeux indépendants A MAZE à Berlin, où plusieurs développeurs expliquent s’être lancés de zéro, en téléchargeant simplement un moteur et en essayant.
J’ai d’abord tenté Godot, puis je suis passé à Unreal après avoir vu un ami progresser très vite dessus. Depuis, j’ai réalisé un premier projet et je travaille sur un second, plus proche du walking simulator. Je me rends compte que je reproduis un peu la démarche des level designers du premier Tomb Raider : construction en temps réel, à partir de dessins, avec un niveau qui se bâtit sous les yeux. Je pense au cheminement du joueur, aux contrechamps, aux garde-fous, aux surprises. Il y a un peu de l’esprit Tomb Raider dans cette manière de penser l’espace. Mais non, Tomb Raider n’est pas à l’origine directe de mon envie de développer.
Quand tu écris un livre comme celui-ci, tu jongles avec plusieurs casquettes : joueur, testeur, historien du média, désormais concepteur. Comment tu gères ces rôles sans te perdre ?
La casquette de concepteur est venue après, pendant une période plus calme. Quand j’écris un livre, je suis surtout journaliste de jeu vidéo avec un gros biais pour le game design. Mon “cœur de métier”, depuis vingt ans, c’est le test et j’ai naturellement tendance à m’intéresser à ce que le jeu fait ressentir et à ce qu’il raconte.
En parallèle, je tiens aussi à recontextualiser chaque épisode dans son époque. Sur Tomb Raider, c’est encore plus nécessaire que sur Assassin’s Creed. Par exemple, Tomb Raider III arrive dans une année complètement folle où sortent Soul Reaver, Half-Life et d’autres titres qui redéfinissent le médium. Dès le troisième épisode, la série commence déjà à paraître un peu “rétro” alors qu’elle a à peine deux ou trois ans.
Je mêle donc regard historique, regard critique, souvenirs personnels de journaliste qui a testé la première trilogie Crystal Dynamics pour Gamekult et aujourd’hui petite expérience de concepteur. Plutôt que de me perdre, ça enrichit le livre, ça permet d’aborder les jeux sous plusieurs angles et de donner un peu de relief à l’écriture.
Justement, quelle différence fondamentale vois-tu entre écrire un article, une chronique et un livre comme Les Légendes de Tomb Raider ?
Pour un article ou un test, tu es sur du temps court, même si sur le web tu n’as pas vraiment de limite de signes. Il faut gérer des cycles très rythmés : le jeu sort tel jour, l’embargo tombe à telle heure, tu dois être prêt.
Un livre, c’est complètement autre chose. Au moment où Third me propose d’écrire sur Assassin’s Creed, je suis convaincu de ne jamais être capable d’écrire un bouquin. Ce n’est pas qu’une question de quantité, il faut tenir sur la longueur en restant intéressant. Tu passes d’abord énormément de temps à lire, écouter, regarder, jouer, sans écrire une ligne, puis tu dois faire le tri dans tout ce que tu as accumulé.
Il faut un plan solide pour savoir où tu vas, tout en gardant une marge de manœuvre pour fusionner des chapitres, déplacer des idées, adapter ton découpage au fur et à mesure. Et il faut respecter un calendrier éditorial : vers juin ou juillet, il faut avoir un certain nombre de chapitres terminés, le manuscrit doit être prêt à telle date. C’est un travail au long cours qui ressemble beaucoup à l’ascension d’une montagne : épuisant, long, mais extrêmement gratifiant quand tu vois le chemin parcouru.

Le plan du livre Tomb Raider a-t-il toujours été chronologique ? Et en quoi diffère-t-il de celui des livres Assassin’s Creed ?
L’ossature reste chronologique parce que c’est le plus naturel pour suivre l’évolution d’une série et de son game design. C’est ce que je fais déjà sur Assassin’s Creed, avec un schéma très “un chapitre, un jeu”.
Mais pour Tomb Raider, j’ai voulu casser ce formalisme. Il y a par exemple un chapitre entièrement dédié au personnage de Lara Croft, traité sous plusieurs angles : marketing, théorique, féministe. C’est une sorte d’incise hors du récit strictement chronologique. Un autre chapitre regroupe les épisodes 2, 3, 4 et 5 parce qu’ils s’inscrivent dans un même mouvement d’écriture, sans forcément apporter chacun une pierre décisive en termes de game design ou de récit.
Le dernier chapitre, lui, entremêle Rise et Shadow tout en réincorporant des éléments du reboot de 2013, pour montrer comment la trilogie Survivor se tient comme un bloc. Il y a donc des vases communicants entre les chapitres. Sur Assassin’s Creed, tout est un peu plus cloisonné.
Dans le livre, tu signes un chapitre très fort sur Lara Croft, entre figure d’émancipation et objet de fantasme. Comment tu as abordé ce terrain qui reste très sensible aujourd’hui ?
C’était à la fois nécessaire et complexe. On parle clairement de féminisme, de male gaze, d’objectivation, de marketing sexiste, mais aussi d’agentivité d’une héroïne que l’on incarne. En tant qu’homme blanc, cis, hétéro, très conscient d’être un pur produit du patriarcat, ce n’est pas un sujet que je pouvais traiter à la légère.
J’ai donc beaucoup lu de travaux issus des game studies, essentiellement des chercheuses, australiennes, croates, anglo-saxonnes, que je cite volontiers dans le livre. Certaines défendent Lara comme figure d’empowerment à revendiquer, d’autres estiment qu’on ne fait que reconditionner des codes misogynes sous un vernis féministe. Ces désaccords académiques sont intéressants, je les expose dans le chapitre.
Pour moi, il y a deux Lara Croft : celle du jeu, qui n’est pas sexualisée dans sa mise en scène, qui est compétente, autonome, courageuse et celle du marketing, caricaturale, hyper sexualisée, parfois vulgaire, notamment dans les campagnes publicitaires des épisodes 2 et 3. Cette dualité est fondatrice, ambiguë, mais elle a aussi ouvert une brèche : Lara montre qu’un personnage féminin peut porter un jeu, faire vendre, devenir une icône. Sans elle, on n’aurait peut-être pas Aloy ou Ellie aujourd’hui.
Le tout, c’était de rester critique sur les dérives sans tomber dans une charge univoque et de ne pas gommer l’impact positif qu’elle a eu sur de nombreuses joueuses qui ont aussi apprécié cette figure de femme forte sur leurs écrans. Malheureusement, on a encore aujourd’hui des difficultés avec cela. En pleine conception d’Assassin’s Creed Odyssey, on rapporte cette phrase qui refuse Cassandra comme héroïne principale au motif que “les femmes ne font pas vendre”. On est vingt ans après le premier Tomb Raider, qui a prouvé l’inverse à une échelle mondiale, c'est aussi pour cela que parler de cela est important. Il existe encore et toujours des débats ignobles sur “la mâchoire trop carrée” d’Aloy d'Horizon. Ce genre de polémique permet de mesurer à quel point ces enjeux restent d’actualité. Le chapitre 3 sert aussi à remettre tout ça en perspective et à donner des outils de réflexion aux lectrices et lecteurs.
Tu compares la chute de Core Design au mythe d’Icare, notamment dans ton chapitre sur L’Ange des Ténèbres. Comment cette image s’est imposée à toi ?
J’avais envie, dès le départ, de ponctuer chaque chapitre par une citation issue de différentes mythologies : égyptienne, maya, grecque, japonaise… C’était un clin d’œil à l’archéologie, mais aussi une manière d’annoncer le ton du chapitre. L’idée me vient en partie des livres de Nicolas Deneschau sur The Last of Us, qui utilisent des paroles de chansons et aussi d’une discussion avec Patrice Désilets sur sa fascination pour la manière dont Dune invente tout un corpus de faux ouvrages en exergue.
Pour L’Ange des Ténèbres, le mythe d’Icare s’est imposé très naturellement au fil de l’écriture. On a un studio persuadé de pouvoir continuer à “tutoyer le soleil” avec les mêmes méthodes artisanales qu’à l’ère PS1, alors qu’il s’agit de développer un jeu next gen d’une complexité nouvelle. On confie au départ la vision du projet à trois débutants qui ne savent même pas vraiment sur quoi ils travaillent, on embauche un scénariste qui découvre au moment de l’entretien qu’on lui demande en fait de pitcher l’histoire du prochain Tomb Raider… Tout est bricolé, improvisé, alors que l’enjeu est colossal.
Le résultat, c’est un jeu intrinsèquement cassé, découpé, maudit, qui ne sera jamais vraiment sauvé, même en remaster. On comprend pourquoi la série doit ensuite changer de mains.

Si quelqu’un veut découvrir la saga Tomb Raider aujourd’hui, par quel épisode lui conseillerais-tu de commencer ?
Pour un ou une nouvelle venue, je ne conseillerais pas les tout premiers épisodes Core Design, sauf si la personne n’a pas peur des graphismes très datés et de la maniabilité en damier. Moi, j’adore parce que j’ai la mémoire musculaire de l’époque, mais objectivement, ça peut être rude.
Je recommanderais plutôt Tomb Raider Anniversary, qui est un excellent remake du premier épisode : fidèle, mais repensé avec une maniabilité moderne et fluide. Plus largement, la première trilogie Crystal Dynamics (Legend, Anniversary, Underworld) forme un très bon point d’entrée.
La trilogie Survivor, je la conseillerais plutôt à quelqu’un qui a déjà une idée de ce qu’est Tomb Raider. En prendre un seul isolément, surtout le reboot de 2013, peut décevoir si l’on cherche tout de suite “l’essence” de la série. En revanche, jouées à la suite, les trois forment un arc cohérent sur la construction de Lara, qui passe de proie terrifiée à prédatrice totale.
D’un point de vue joueur, tu te dis aujourd’hui plus curieux de l’avenir d’Assassin’s Creed ou de celui de Tomb Raider ?
En ce moment, je suis plus curieux du prochain Tomb Raider. Me plonger autant dans la série m’a vraiment redonné goût à Lara et j’ai très envie de voir ce que Crystal Dynamics va proposer avec ce nouveau reboot.
Je reste toutefois prudent. Ce que j’aime dans Tomb Raider, ce sont les temples, les puzzles, l’épopée solitaire dans des sites archéologiques déments. Le versant grand spectacle à la Uncharted m’intéresse moins. Donc je suis partagé entre excitation et inquiétude.
Pour Assassin’s Creed, je garde aussi un œil très attentif sur les projets à venir, que ce soit le remake de Black Flag ou Assassin’s Creed Hexe. Mais si je dois choisir, ma curiosité penche un peu vers Lara en ce moment.
Tu n'as pas encore de prochain projet de livre, mais qu’est-ce qui déclenche, chez toi, l’envie de consacrer plusieurs années à une licence ?
Pour écrire un livre, il faut une passion très forte. C’est vraiment l’image de la montagne : si tu n’aimes pas grimper, traverser la forêt, affronter la neige, tu ne tiendras jamais jusqu’en haut. Assassin’s Creed et Tomb Raider sont deux séries qui comptent énormément pour moi, chacune à leur manière.
À l’heure actuelle, je n’ai pas d’autre licence en tête qui me donne envie de m’infliger à nouveau ce marathon. En revanche, un projet qui me plairait beaucoup, ce serait de suivre en profondeur le développement d’un jeu précis, avec un studio donné, en étant la petite souris qui revient tous les trois ou six mois documenter l’avancée du projet et les difficultés rencontrées. Une sorte de documentaire écrit The Art of, mais au long cours et sans filtre. Là, oui, ce serait très excitant, à condition d’avoir un vrai feeling avec l’équipe et d’aimer profondément le jeu en question.
Est-ce qu'écrire en partenariat avec un studio comme Ubisoft ou un autre gros éditeur t'intéresserait ?
Non, parce que ce serait un enfer. Un livre officiel impliquerait des dizaines de relectures, des validations à chaque virgule, une pression énorme pour lisser le propos. Je n’ai aucune envie que quelqu’un tienne mon stylo.
Les livres Assassin’s Creed ne sont pas faits en partenariat avec Ubisoft. L’immense majorité des personnes que j’ai interviewées l’ont fait de leur propre chef, soit parce qu’elles avaient quitté la société, soit parce qu’elles savaient qu’elles pouvaient me parler en confiance, parfois sous couvert d’anonymat. Ça permet de raconter les choses comme elles se sont passées, y compris ce qui fâche.
Sur Tomb Raider, c’est pareil : je m’appuie sur des témoignages existants, sur quelques échanges directs, mais en gardant une totale liberté d’interprétation et de ton. Sans cette liberté critique, ces livres n’auraient aucun intérêt.
Tu sembles assez peu intéressé par le versant transmedia de Lara : films, comics, série animée. Pourquoi ce choix ?
Parce que ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je les ai vus, je ne les ignore pas, mais je n’ai pas de légitimité particulière pour parler de cinéma et je trouve que le cœur de ces licences reste le jeu vidéo.
Si tu ouvres la porte aux contenus dérivés, tu n’en finis jamais : romans, comics, mangas, séries, produits dérivés. C’est déjà le cas pour Assassin’s Creed, où chaque jeu ou presque a un roman, des bandes dessinées. Pour rester lisible, il fallait circonscrire le sujet aux jeux principaux, ceux qui font la colonne vertébrale de la saga.

Parlons un peu de Nintendo. Tomb Raider a longtemps été associé à PlayStation. Est-ce que tu vois aujourd’hui une place naturelle pour Lara Croft sur Nintendo Switch et Nintendo Switch 2 ?
Oui, clairement. Les remasters récents des premiers épisodes montrent qu’il y a déjà une place pour Lara sur Nintendo Switch. Pour le prochain grand épisode de Crystal Dynamics, la vraie question sera technologique, mais ce qu’on a vu de Nintendo Switch 2 laisse penser qu’elle pourra faire tourner des jeux très ambitieux, type Resident Evil récent.
On peut parfaitement imaginer la trilogie Survivor arriver sur Nintendo Switch 2, par exemple. Lara n’est plus “assignée” à une marque, elle circule déjà partout, jusque dans des jeux comme Fortnite. La voir un jour dans un Super Smash, pourquoi pas.
Ndlr : cet entretien a eu lieu seulement quelques jours avant l'annonce de l'arrivée sur Nintendo Switch 2 du reboot de 2013 de Tomb Raider.
Quel est ton rapport personnel à Nintendo en tant que joueur ?
Ma première console, c’est une Game Boy reçue à Noël, au tout début des années 90. Ensuite, pendant longtemps, les consoles de salon Nintendo ont surtout été “les consoles des copains” : NES, Super NES, puis Nintendo 64. Je n’avais pas le droit d’en avoir chez moi, donc je découvrais Mario, Metroid, Zelda chez les autres.
Ma première console de salon à moi, c’est la PlayStation. Côté Nintendo, je reviens vraiment avec la GameCube, puis plus tard avec la Nintendo Switch, sur laquelle j’ai passé beaucoup de temps sur les Zelda et Animal Crossing pendant le confinement.
Aujourd’hui, je me sens un peu plus éloigné de leurs IP. Metroid m’attire encore, un bon Mario 3D aussi, mais ce n’est pas suffisant pour que je saute immédiatement sur Nintendo Switch 2. En revanche, un gros nouveau Zelda aurait de grandes chances de me faire craquer.
Si Third te proposait un livre sur une licence Nintendo, laquelle aimerais-tu explorer ?
Spontanément, je dirais Zelda, parce que c’est la série Nintendo que je préfère. Sauf qu’il existe déjà une quantité impressionnante de livres là-dessus, dont certains très pointus, notamment chez Third. Et c’est une saga extrêmement complexe à traiter, d’un point de vue narratif et historique.
Honnêtement, je ne vois pas ce que je pourrais apporter de vraiment pertinent sur Zelda aujourd’hui. Donc autant laisser la place aux gens qui connaissent ce sujet mieux que moi.

Ce qui frappe en discutant avec Thomas Méreur, c’est ce mélange de rigueur et de passion. Derrière Les Légendes de Tomb Raider, il n’y a pas seulement un travail de compilation, mais une vraie volonté de comprendre comment une héroïne née dans les années quatre vingt dix a pu traverser les générations, les consoles et les discours, jusqu’à devenir un symbole aussi discuté qu’incontournable. Pour en savoir plus sur le livre, rendez-vous directement sur le site de Third Éditions.
En expliquant sa méthode, ses hésitations, son regard de testeur, de lecteur des game studies et désormais de développeur amateur, Thomas Méreur montre aussi à quel point l’écriture sur le jeu vidéo peut aller bien au delà du simple test ou du dossier nostalgique. Son livre sur Tomb Raider prolonge ce qu’il avait déjà amorcé sur Assassin’s Creed et confirme une approche qui n’a rien d’anodin.
Pour celles et ceux qui voudraient prolonger encore l’aventure aux côtés de Lara Croft, on ne peut que conseiller de lire ou relire notre Pause Lecture dédiée à Les Légendes de Tomb Raider Sur la piste d’une icône, puis de se plonger dans l’ouvrage lui même. En attendant le prochain Tomb Raider, et peut être un futur projet d’écriture qui donnera à Thomas l’occasion de gravir une nouvelle montagne.

