Comptant sans doute parmi les romans les plus connus et les plus appréciés d’Agatha Christie, Le crime de l’orient express a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma, à la télévision, et déjà en jeu vidéo sur PC en 2006. Cette fois-ci, c’est le studio Microids Lyon qui propose sa propre version du roman de la reine du crime, qui se déroule cette fois-ci non pas en 1934, mais en 2023. Nous incarnons ici un Hercule Poirot plus âgé que dans les deux opus précédents, ainsi qu’un nouveau personnage inédit : Joanna Locke.

Test réalisé à partir d'une version fournie par l'éditeur.

Prenez garde à la fermeture des portes

De retour d’une mission brillamment réussie au Moyen-Orient, Hercule Poirot s’en va rejoindre l’Angleterre où il est rappelé d’urgence. Par un heureux hasard, il tombe sur son ami Bouc qui lui obtient une place à bord du splendide Orient-Express, dont il est le fier directeur. Un bref coup d’œil sur le quai de la gare, quelques bribes de conversations attrapées au vol, et voilà le détective parti pour un voyage dont il risque de se souvenir longtemps. Car cette nuit-là, alors que le train se retrouve bloqué par une avalanche au milieu de nulle part, un passager est assassiné de douze coups de couteau. Qui est responsable ? Au plus célèbre des détectives belges de répondre à cette question. Car dans l’ombre de ces passagers aux secrets bien gardés, dans les pas de cette femme traquant un insaisissable fantôme, et au plus profond de la tombe d’une famille décimée, se cache peut-être la plus inattendue des réponses.

Hercule Poirot et ses formidables capacités d’observation n’ont rien perdu de leur superbe dans cette excellente adaptation de l’œuvre de Madame Christie, qui restera majoritairement fidèle à l’œuvre originale. On retrouve donc tout ce qui a fait le succès de cet haletant huis clos, du passé des mystérieux passagers aux retournements de situation qui s’enchainent jusqu’au dénouement. Il en résulte une douzaine d’heure de jeu intense et riche en révélations qui ravira autant les fans du livre que les afficionados du genre policier en général. Un bel hommage à l’œuvre, donc, mais pas seulement. En effet, les développeurs ont ici pris le pari d’aller plus loin que l’adaptation, et ont imaginé une suite au roman. Là où l’intrigue originale s’achevait aussitôt l’affaire du train résolue, il se pourrait que cette fois-ci, Hercule Poirot n’en reste pas là. Cet ultime segment narratif, bien que plus classique et moins exotique que le précédent, doit être salué car en plus de nous proposer un tandem Poirot/Locke qui fonctionne à merveille, il offre une conclusion intense des plus convaincantes dans le prolongement du travail d’Agatha Christie, au point qu’il aurait d’ailleurs pu parfaitement s’insérer dans le roman.

Comme dit plus tôt dans l’introduction, cette adaptation fait se dérouler les faits en 2023 et non plus dans les années 30. Hercule Poirot a donc un téléphone portable et les gens vapotent ou lisent sur des tablettes. Un vent de modernité qui sert plus à ancrer le personnage de Joanna Locke et son duo avec Hercule qu’à la résolution de l’enquête du train en elle-même. En effet, côté Poirot, l’usage des nouvelles technologies est si discret que l’on s’est longtemps demandé ce qui avait justifié un tel changement d’époque. Il en résulte un anachronisme plutôt gênant pour la cohérence du titre, avec des personnages armés de tablettes numériques mais qui utilisent encore des objets qu’on verrait bien dater de plusieurs décennies en arrière ; ou encore la présence de techniques d’investigations qui, fatalement, ne correspondent plus du tout à leur époque. Difficile, en effet, d’imaginer qu’un détective de 2023 puisse oublier d’exploiter les informations contenues dans les téléphones portables de ses suspects !

Pour votre santé, utilisez vos cellules grises

Pour cet opus, l’on retrouvera un gameplay comparable à celui des Sherlock Holmes de Frogwares, avec une structure d’enquête se composant d’une phase de collecte d’indices suivi d’une période de déductions. La première, classique, demandera au joueur d’interagir avec les différents éléments mis en évidence par une icône. Une fois l’objet sélectionné, on passe alors en vue première personne pour l’observer de plus près et ce, jusqu’à ce que tous les indices d’une pièce soient récoltés. Parfois, il sera nécessaire d’interroger les personnages voire de les confronter à leurs propres mensonges si leurs dires contredisent une preuve. Si cette mécanique simple a l’avantage de l’efficacité, on appréciera davantage les idées qui feront se démarquer le titre des autres du même genre. Et sur ce point, l’on ne peut qu’être ravi de constater que les capacités propres d’Hercule Poirot ont été véritablement mises à contribution pour l’enquête. Ainsi, son formidable don pour l’observation servira-t-il notamment à analyser les personnages afin d’en déduire leur âge, profession et nationalité par exemple.  

Les observations ainsi réalisées seront regroupées au sein de la « carte mentale » d’Hercule Poirot, grâce à laquelle on suit le cheminement de pensée du détective et les différentes théories qu’il formule. A charge pour nous d’aller les vérifier en suivant scrupuleusement les indications des différentes ramifications de la carte. Peu de liberté donc, pour un système de jeu très dirigiste dans lequel les erreurs sont sans conséquences et qui ne tolèrera les incartades que pour aller récupérer les collectibles, donnant finalement l’impression de ne jamais avoir complètement  la mainmise sur le déroulé de l’enquête. Néanmoins, sa parfaite organisation des informations nouvellement acquises en fait un allié indispensable et efficace pour permettre au joueur de ne jamais se sentir perdu malgré la masse d’informations à laquelle il fait face.

Parlons maintenant des énigmes, autre élément central de cet opus, que l’on peut diviser en deux catégories : celles des scènes d’enquête, servant à débloquer des indices ; et celles de la carte mentale, à visée récapitulative. Pour les premières, ce n’est pas tant leur originalité que leur variété qui impressionne. Du code secret à trouver au puzzle à résoudre en passant par la recherche d’objets-clés, on ne boude pas notre plaisir de ne jamais voir s’enchainer les mêmes propositions. Du côté des seconds types de puzzle, il s’agira surtout de faire un point sur la situation en reliant ensemble des événements ou encore en reconstituant la chronologie des faits. Relativement simple, la plupart des énigmes ne nous donneront pas vraiment de fil à retordre à quelques exceptions près. Et si une situation nous bloque, l’on peut demander jusqu’à trois indices, le dernier nous donnant quasi systématiquement la réponse, prouvant là encore que les développeurs ont misé sur l’accessibilité du titre à tous les publics.

Question de point de vue

Evidemment, le fait que l’intrigue se déroule dans un train longiligne implique un effet couloir difficilement évitable. Il faudra donc régulièrement se balader d’un bout à l’autre des cinq wagons composant l’appareil, ce qui peut parfois être un peu rébarbatif. On se sent vite à l’étroit dans ces minces couloirs et ces pièces de vie dans lesquelles on ne peut circuler qu’en ligne droite. Néanmoins, ce sentiment sera bien vite effacé par l’arrivé d’une nouvelle protagoniste originale au titre : Joanna Locke. Pensée comme une véritable Binôme de Poirot, il sera possible pour le joueur de l’incarner à différents moments de l’intrigue. Une très bonne idée qui permet ainsi de régulièrement échanger l’atmosphère plus si tranquille de l’Orient express contre des paysages urbains ou naturels plus étendus et respirables.

Côté technique, le jeu s’en sort globalement bien sur cette version switch mais un certain nombre de détails restent encore à améliorer. Les temps de chargements existent, mais sont plutôt rapides. Aucun ralentissement problématique n’est à signaler, bien que l’on subisse assez régulièrement un gel de l’écran de quelques secondes causé par le déclenchement de la sauvegarde automatique, notamment lorsque l’on ouvre une porte. Enfin, on notera également quelques bugs de textures d’arrière-plan lors des dialogues, faisant alors apparaitre des traits de lumières quelque peu agaçant à la longue.

Chaque fois mon train qui déraille

Visuellement, le jeu est sans aucun doute une belle réussite. Le luxe de ce joyau du XIXème siècle est superbement retranscrit, et on prend un plaisir non dissimulé à arpenter les couloirs tandis que défile par les fenêtres gelées par le froid les paysages enneigés. C’est cependant, comme souvent, en milieu extérieur que la switch manque le coche. Affichant des textures allant du très moyen au très laid, la console a toujours autant de mal à faire illusion et ce ne sont pas nos yeux qui nous remercieront. S’agissant de la modélisation des personnages, l’on regrettera des gros soucis de synchronisation labiale, des expressions faciales pas toujours très naturelles et des problèmes occasionnels de proportions parfois grossiers, notamment au niveau des mains et des bras.

Côté son, les musiques sont agréables, mais pour ainsi dire très discrètes. Les dialogues sont intégralement doublés en français et l’on reconnaitra même certaines voix connues comme celle de Pascale Chemin (Shepard). Mention spéciale à Julien Chatelet, voix d’Hercule Poirot, qui fait ici un travail remarquable retranscrivant à merveille la personnalité si atypique du fameux détective belge.