LD Mario - Chap. 2 : L'apprentissage par le LD

CHAPITRE 2 : L’APPRENTISSAGE PAR LE LEVEL DESIGN

Les jeux ces dernières années ont tendance à proposer quelque chose, en introduction, qu’on appelle « tutorial ». Cette façon de faire est une erreur pour diverses raisons. Tout d’abord parce qu’elle prend le joueur pour un abruti. Je m’explique : ajouter un tutorial à un jeu, c’est comme dire au joueur qu’il est trop mauvais pour comprendre le fonctionnement du jeu par lui-même, alors on l’aide ouvertement. Mais aussi parce que cela prouve un manque de confiance total du Game Designer et Level Designer en son propre Design. En effet, si le Level Designer crée un tutorial, c’est qu’il n’a pas suffisamment confiance en son Design et qu’il ne le trouve pas si intuitif que ça. 

Prenons l’exemple de Super Mario Bros. (même si dans les faits, cela s’applique à tous les Super Mario Bros.) : il n’y a aucun niveau tutorial au début du jeu. Il n’y a pas non plus de lignes de texte qui nous disent « Saute sur le Goomba avec le Bouton A ». Et pourtant, vous avez dû comprendre tout ça par vous-même et cela ne vous a pas posé de problème. Tout simplement car le Niveau 1-1 de Super Mario Bros. est en lui-même un tutorial. Ou plutôt : le tutorial s’inscrit dans le Level Design de ce niveau. 

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Ainsi, Mario commence à l’extrême gauche de l’écran, tourné vers la droite. Il ne peut donc que se diriger dans cette direction (quand bien même il voudrait faire demi-tour, le bord de l’écran le bloque). Un écran plus loin, il devrait rencontrer son premier bloc ? et un Goomba. Le design du Goomba le présente comme un méchant, via son regarde térifiant. Il ne fait donc aucun doute qu’il faut l’éviter. La manette de la NES étant bien faite, le joueur sera invité à appuyer sur le bouton de saut. Plusieurs cas de figure peuvent se présenter : le joueur peut heurter le bloc ? et retomber devant le Goomba, perdant une vie au passage. Cela lui aura au moins montré que même si le Goomba est un ennemi, les blocs ? renferment des objets. Un autre cas de figure peut amener le joueur à retomber sur la tête du Goomba, et ainsi observer que le Goomba meurt grâce à son saut. Ces premiers écrans de jeu sont réglés au bloc près et permettent donc de présenter quasiment toutes les mécaniques du jeu facilement. 
Après s’être débarassé du Goomba, le joueur tentera de frapper le bloc de briques, observant qu’il ne peut le détruire. Il frappera ensuite le second bloc ? et en fera sortir un Super Champi. Cet objet n’a pas la même palette de couleurs ni le même graphisme que le Goomba (il n’a, à cette époque, même pas d’yeux). Le joueur peut donc directement s’apercevoir que ce n’est pas un ennemi. Dans le cas où il le confondrait quand même avec un Goomba, le Super Champi se dirigera vers la droite rapidement, fera demi-tour sur le tuyau et reviendra vers Mario. Il est à ce moment bien plus difficile de l’éviter que d’éviter un Goomba. Le joueur est quasiment certain de se prendre le Super Champi quoi qu’il arrive, et pourra donc constater qu’il s’agit d’un bonus et non d’un autre ennemi. 

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Le reste du niveau est aussi fabriqué avec cette manière si intuitive de présenter les choses. On remarquera le passage des deux « pyramides », qui présentent le vide au joueur pour la première fois. La première « pyramide » de blocs est un saut facile à passer. Mais si le joueur le rate, il pourra tout de même remonter. Cela lui aura fait perdre son élan et lui montrera qu’il est quand même assez agaçant de tomber dans ce genre de trous. Viendra ensuite la seconde « pyramide » de blocs. Le joueur comprendra, en voyant que le trou est plus profond, qu’il ne doit pas tomber dedans. De plus, un détail subtil se glisse dans cet obstacle : la partie de gauche est faites de deux blocs d’épaisseur, ce qui permet au joueur de prendre plus d’élan et donc de préparer mieux son saut, mais aussi de ne pas louper la dernière marche avant le saut au-dessus du vide. 

Ces deux exemples sont là pour vous évoquer que chaque nouvelle idée forte, nouvel obstacle, nouvel ennemi, doit au préalable être présenté au joueur. Cela évite la frustration et l’incompréhension. C’est pour cela qu’il faut éviter de mettre un obstacle mortel devant le joueur sans le prévenir auparavant. 

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Observons par exemple l’un des premiers écrans de Super Mario Bros. 3. Le lieu où se trouve le premier Koopa Troopa est suivi d’un bloc ? avec une Super Feuille. Vous savez aujourd’hui que la carapace d’un Koopa Troopa permet d’activer les blocs ? mais peut aussi être un engin mortel quand elle se retourne contre vous. Cependant en observant cette portion de niveau, on se rend compte que le bloc ? est un étage en dessous du niveau du Koopa. De plus, la plateforme verte où se trouve le Koopa n’est solide que sur le dessus, ses bords sont juste décoratifs. Ainsi, si vous n’aviez jamais joué à un Mario auparavant, vous allez certainement sauter sur le Koopa et jeter sa carapace vers la droite. La carapace activera le bloc ? et reviendra vers vous. Heureusement pour vous, vous êtes un bloc au-dessus de cette carapace, donc elle ne vous touchera pas, mais vous devriez remarquer qu’elle culbute et tue le Goomba sur son passage. Cette portion de niveau est particulièrement réussie et les Designer ont évité une erreur très frustrante. 
Imaginez que le bloc ? se soit retrouvé au même niveau que le Koopa Troopa : la carapace aurait bien heurté le bloc ?, mais elle serait revenue vers Mario et lui aurait fait perdre son Super Champi. Ceci aurait été une situation hyper frustrante car le joueur aurait compris, trop tard, que la carapace pouvait faire demi-tour et surtout qu’elle détruit les personnages sur son passage. Ainsi, c’est l’exemple typique de ce qu’il faut toujours faire lorsqu’on fait intervenir un nouvel élément : le présenter de manière clair, montrer au joueur ce qu’il fait, sans que cela soit pénalisant pour le joueur. 

Le joueur joue à un jeu vidéo pour y trouver du fun. Le fun peut passer par la difficulté, mais la difficulté doit être logique. Le joueur doit pouvoir se dire « Je suis mort car j’ai mal joué », il ne faut surtout pas qu’il se dise « Je suis mort parce que je n’ai pas compris ». C’est l’une des pires erreurs qu’un Level Designer peut faire.