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Pause Lecture - Dungeon Crawler Carl de Matt Dinniman, traduit par Chloé Atangana et publié chez Lorestone

Par babidu - Il y a 15 heures

J’ai eu la chance de découvrir Dungeon Crawler Carl, une saga littéraire d’un genre que je n’avais encore jamais rencontré. Son éditeur en France, Lorestone, m’a fait parvenir les trois premiers tomes directement chez moi, et je ne peux que les remercier pour ça.

Je me suis aussitôt plongé dedans et j’admets sans honte avoir littéralement dévoré les deux premiers volumes, puis une bonne partie du troisième, en quelques jours. Ce qui m’a happé dès les premières pages, c’est ce concept en apparence simple. La Terre pulvérisée en quelques secondes, les survivants aspirés dans un gigantesque donjon administré par des espèces venues d’ailleurs, et l’humanité réduite à jouer, au sens le plus littéral, sa survie devant un public intergalactique. Une sorte de jeu de rôle grandeur nature mêlé à une télé-réalité sordide retransmise à travers la galaxie.
On pourrait croire à un pitch facile, à un prétexte pour empiler des scènes absurdes, quelque chose qu’on pourrait presque imaginer dans un épisode des Simpsons. Mais non. Le texte est beaucoup plus solide que ça. Le lore n’est jamais plaqué, il s’instille au fil des chapitres, avec une maîtrise surprenante. L’auteur sait exactement où il va, et ça se voit. Parce que du lore, des sous-intrigues et une logique interne, il y en a en masse dans ces trois premiers tomes. Rien n’est jeté au hasard. On avance dans un puzzle entièrement cohérent, qui se révèle pièce après pièce.

Ce qui frappe ensuite pendant la lecture, c’est la manière dont la saga mélange des éléments qui, sur le papier, n’auraient aucune raison d'aller aussi bien ensemble. Un univers de science-fiction post-apocalyptique sert de cadre à l’intrigue, l’humour noir dans la plume de l’auteur vient saupoudrer méchamment l'intrigue et les mécaniques RPG comme les statistiques, les compétences, le loot et les niveaux gagnés structurent la narration comme si l’on progressait dans un jeu vidéo grandeur nature. Et puisque vous êtes sur Nintendo-Master, j’ose espérer que vous appréciez au moins un peu l’art vidéoludique, ce qui signifie que Dungeon Crawler Carl s’adresse très clairement à vous.
Le tout donne une forme de fantasy moderne profondément marquée par la culture geek. C’est un cocktail improbable, mais qui fonctionne parce qu’il parle directement aux lecteurs qui ont grandi avec les jeux vidéo, les sagas audio comme Le Donjon de Naheulbeuk ou Les Aventuriers du Survivaur, et cette façon si particulière d’aborder un récit à travers des règles, des niveaux et des systèmes.
Ce qui pourrait n’être qu’une parodie légère devient alors une vraie proposition littéraire avec un ton distinct et une maîtrise étonnante. Rien n’est gratuit. Matt Dinniman connaît les codes qu’il manipule, sait comment les tordre, comment jouer avec les attentes et comment surprendre ceux qui pensent déjà tout connaître. C’est sans doute pour cela que ce mélange fonctionne aussi bien. Il ne se contente pas de flatter les amateurs de RPG, il construit un univers qui semble respirer avec eux.

L’autre grande force de Dungeon Crawler Carl, c’est son duo de héros. Carl est un protagoniste extrêmement terre à terre, presque banal au premier abord, mais qui révèle une endurance et une humanité qui le rendent immédiatement attachant. Dans un monde qui n’a plus aucun sens, cette figure parfois nihiliste devient pourtant un vrai vecteur d’espoir. La progression de son personnage, autant psychologique que liée à son niveau dans le jeu, est un régal à suivre. À ses côtés, Princess Donut, le chat de son ex-compagne, aurait pu n’être qu’un gimmick, un clin d’œil amusant destiné à flatter la culture internet sans réellement servir le récit. Je m’attendais d’ailleurs à la subir plus qu’à l’apprécier.
Et pourtant, Donut est très bien écrite. Elle possède une personnalité complète, faite de caprices, de logique très particulière, d’évolutions constantes. Elle grandit, elle s’améliore, elle s’humanise même par moments. La touche féline qu’elle apporte au récit est plus que bienvenue, et l’on en apprend autant sur Carl que sur l’univers qu’ils explorent en observant sa manière de s’adapter. Elle ne sert pas seulement de ressort comique, même si certaines de ses scènes sont franchement hilarantes. Elle influence aussi l’histoire, les décisions, les stratégies adoptées et réussit souvent à débloquer des situations complètement loufoques créées par le donjon.
Ensemble, Carl et Donut forment un duo qui ne devrait pas fonctionner sur le papier, mais qui devient l’une des principales raisons pour lesquelles on dévore les tomes les uns après les autres. Leur relation installe un équilibre étrange entre l’absurde et la gravité, entre un humour parfois mordant et un danger bien réel. Ils incarnent parfaitement le ton de la saga, lui donnent son humanité, son souffle, et cette envie incontrôlable de poursuivre leur aventure.

J’ai aussi été vraiment enchanté par la manière dont les sous-intrigues sont gérées. Il y en a beaucoup, parfois très discrètes, parfois plus importantes, et pourtant elles se recoupent d’un tome à l’autre sans jamais donner l’impression de se perdre. Tout avance en même temps, rien n’est laissé de côté. C’est très agréable à suivre, parce qu’on voit petit à petit les éléments revenir, se répondre et prendre du sens au moment où on s’y attend le moins.

Ce qui surprend rapidement quand on enchaîne les chapitres, c’est à quel point le rythme est maîtrisé. La narration va vite, parfois très vite, sans jamais devenir confuse. Les moments d’accalmie existent, mais ils préparent toujours un rebond, un danger inattendu ou une révélation qui relance l’histoire de plus belle. On avance sans s’en rendre compte, happé par une dynamique qui ne faiblit jamais. C’est fluide, c’est clair et c’est franchement agréable à suivre.
Le style adopté par Matt Dinniman, et traduit avec beaucoup d’efficacité par Chloé Atangana, colle parfaitement à un lectorat adulte habitué à la culture geek et au jeu vidéo. On sent que l’écriture vient d’un joueur qui écrit pour d’autres joueurs, avec des références au média vidéoludique qui parlent immédiatement aux amateurs. La plume fonctionne grâce à un mélange d’humour noir, de clins d’œil détournés et de mécaniques ludiques intégrées directement à l’intrigue. Il y a quelque chose de très familier dans cette manière d’utiliser règles et systèmes pour porter un récit, mais aussi quelque chose de réellement novateur dans la façon dont c’est exécuté. Et si l’étiquette LitRPG vous effraie, inutile de paniquer. Voyez plutôt ce genre comme une littérature adulte qui emprunte quelques notions aux jeux de rôle. Ce mariage encore méconnu fonctionne ici étonnamment bien.

Pour qui a grandi avec les jeux vidéo, avec les univers à niveaux, à compétences ou à inventaires improbables, cette saga sonne juste. On comprend immédiatement les mécaniques et on se surprend à imaginer des stratégies aux côtés de Carl. Cela fait du bien, aussi, de lire un roman qui ne prend pas les joueurs de haut et qui ne cherche pas à moraliser leur hobby. Dungeon Crawler Carl assume pleinement son statut de littérature pop grand public, mais le fait avec assez de finesse pour ne jamais devenir paresseux. On lit pour le plaisir immédiat, mais aussi pour la manière dont tout s’imbrique, dont chaque élément trouve sa place dans un ensemble étonnamment cohérent.

Je l’ai déjà dit, mais l’une des vraies surprises de Dungeon Crawler Carl, c’est l’humour. Pas simplement quelques petites blagues dispersées, mais un humour solide, assumé, qui fonctionne réellement. Il m’est arrivé de rire franchement deux ou trois fois par tome, ce qui est extrêmement rare pour moi avec la littérature. C’est souvent sur ce terrain qu’on distingue une œuvre bancale d’une œuvre maîtrisée. Faire sourire un lecteur est facile. Le faire rire sans casser le rythme ni l’immersion, c’est tout autre chose.
L’écriture repose sur un décalage très fin entre la gravité des situations et la manière dont les personnages y réagissent. On passe sans effort de l’absurde au drame, du danger au trait d’humour inattendu. C’est ce qui donne au récit ce ton si particulier, à la fois satirique, nihiliste et pourtant étrangement humain. L’humour ne sert jamais à masquer le danger et ne se moque jamais du lecteur ou des amateurs de jeux vidéo. Il fait partie du monde, de ses règles et de la personnalité des protagonistes. Carl est drôle, bien sûr, mais ce qu’il vit l’est souvent encore plus. Mention spéciale à l’intelligence artificielle qui gère le donjon, qui est probablement l’un des meilleurs personnages de toute la saga. Ses commentaires lors de l’apparition d’items, de boss ou de la validation de certains succès sont régulièrement à mourir de rire.

Cet humour fonctionne aussi parce qu’il est profondément cohérent avec la culture geek. Les références et les détournements ne sont jamais gratuits. Ils enrichissent la lecture sans exclure ceux qui n’en saisiront pas tous les détails. Pour les joueurs, cela murmure des choses familières. Pour les autres, cela reste amusant, jamais hermétique. C’est un équilibre délicat, et pourtant parfaitement tenu.

Si j’ai adoré cette saga, il faut tout de même être honnête. Dungeon Crawler Carl ne conviendra pas forcément à tous les lecteurs. Le roman parle la langue des jeux vidéo et assume totalement ses mécaniques. Pour quelqu’un qui ne connaît pas les systèmes de niveaux, les compétences, les inventaires farfelus ou la logique du loot, cela peut vite devenir étrange, voire un peu repoussant. J’avoue ne pas savoir comment un lecteur totalement profane réagira à cette surcouche de RPG, et je suis moi-même curieux de voir la réaction d’une connaissance à qui j’ai prévu d’offrir le premier tome sous le sapin. Je pourrai alors revenir avec un vrai retour d’expérience de terrain. Du côté des lecteurs attachés à une littérature plus classique, cette obsession pour les codes du jeu de rôle peut sembler trop présente. C’est probablement le genre de livre qui demande d’accepter ses règles pour vraiment se laisser porter.
L’humour peut lui aussi diviser. Il est noir, parfois très mordant, parfois presque grotesque. Si les premières blagues ne fonctionnent pas sur vous, il est possible que la suite vous laisse un peu à distance. Le ton ne s’adoucit jamais vraiment et ne cherche pas à convaincre ceux qui n’adhèrent pas d’emblée à ce mélange très particulier.
Enfin, il faut accepter que Dungeon Crawler Carl reste une œuvre de littérature pop. C’est écrit avec maîtrise, c’est ambitieux dans son approche du LitRPG, c’est bourré d’idées et de trouvailles réjouissantes, mais ce n’est pas un roman contemplatif ou un texte rempli de grandes envolées stylistiques. Il vise l’efficacité, l’immersion et le plaisir immédiat. Ce n’est clairement pas un défaut, mais il faut savoir où l’on met les pieds.

Je suis vraiment heureux que cette saga ait enfin pu atterrir chez nous et qu’elle bénéficie d’une traduction française complète et soignée. L’éditeur Lorestone et leur traductrice font un travail remarquable en rendant accessible une œuvre qui, jusque-là, rendait les lecteurs francophones aussi jaloux que les lecteurs anglophones étaient comblés à chaque sortie de tome. Pour une fois, on ne se contente pas de « rattraper » un phénomène, on le découvre presque en même temps que le public original, et c’est une chance.
Les trois premiers tomes posent un univers immense, cohérent, drôle, cruel, absurde et étonnamment touchant. C’est une aventure que j’ai été ravi de lire et que j'ai hâte de continuer. J’espère sincèrement que nous rattraperons vite les parutions anglaises, le rythme de parution en france est très bien soutenu pour l'instant à hauteur de deux à trois tomes par an, car si l’auteur Matt Dinniman maintient ce niveau de créativité et de maîtrise, la suite promet d’être encore plus grandiose. Dungeon Crawler Carl a quelque chose que je ne rencontre pas souvent en littérature pop : une âme, un souffle, une originalité et ce qu’il faut pour créer un vrai page-turner.

Côté budget : les tomes sont vendus autour de 13,90 euros pour les volumes 1 et 2, et 15,90 euros pour le volume 3. C’est un prix raisonnable pour le contenu généreux et l’entretien d’un univers aussi riche. Ils sont disponibles chez tous vos libraires mais aussi évidemment sur tous vos sites internet vendeurs de livres favoris !
C’est aussi, et j’insiste, un cadeau de Noël idéal, que ce soit pour un ami gamer, un amateur de fantasy, ou un lecteur curieux de découvrir un univers qui sort des sentiers battus : ce roman a ce petit supplément d’ambition, d’humour et d’énergie qui en fait un excellent choix. Il se murmure que le quatrième tome devrait débarquer en librairie cette semaine, une excellente nouvelle pour ceux qui, comme moi, enchaînent les tomes dès que ça sort.

Si vous aimez les jeux vidéo, la fantasy moderne, les récits qui ne ressemblent à rien d’autre, les bonnes surprises, les personnages en évolution, les éclats de rire inattendus et les histoires qui prennent des risques, alors cette saga mérite clairement une place dans votre bibliothèque. Pour ma part, j’attends déjà la suite avec impatience.