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Master Retrospective : Gunpei Yokoi, le créateur de la Game Boy

Par Shadowdeath - Le 27/06/2014 à 11:20

Il est des légendes que l'on oublie pas, surtout lorsque leur mort tragique et plus qu'inattendue survient tandis qu'elles se trouvent au sommet de leur gloire. Gunpei Yokoi fait partie de ces figures mythiques du jeu vidéo, peut-être même davantage que d'autres, car il est le précurseur de nombreux éléments fondamentaux dans l'industrie en question. Ingénieur talentueux, père de la Game Boy, du D-Pad (croix directionnelle) et de bien d'autres choses, Yokoi est un grand parmi les grands chez Nintendo, souvent cité à titre honorifique par les éminents techniciens de la Firme de Kyoto et également considéré par certain d'entre eux comme un mentor. Voici l'histoire d'un maître visionnaire.

 

L'artisan de la prospérité

Après un brillant parcours scolaire, Yokoi sort diplômé en électronique de l'Université Dōshisha, à Kyoto pour rentrer dans les effectifs de Nintendo à l'époque où la société ne produisait pas encore de jeu vidéo. En 1965, il prend ses fonction en tant que responsable chargé de veiller au bon fonctionnement des machines produisant les cartes à jouer traditionnelles (Hanafuda) qui font la fierté de Nintendo. L'année suivante s'effectue à l'usine la prestigieuse visite d'Hiroshi Yamauchi, alors héritier de la firme, qui remarque un bras artificiel extensible capable de saisir des objets de petite taille à sa portée. Gunpei Yokoi l'avait construit pour se divertir au cours de ses heures d'oisiveté au travail. Yamauchi voit en cet objet un potentiel de vente important et commande à Yokoi de lancer la production d'un prototype finalisé de ce qui deviendra l'Ultra Hand. Un jouet qui parvient à obtenir un formidable succès commercial, car au bout du compte, il s'écoule à plus d'un million d'exemplaires. Dans la foulée, Yokoi est chargé de plancher sur divers objets du style tels que l'Ultra Machine, un engin destiné à projeter des balles de baseball; le « Love Tester » qui, comme son nom l'indique, doit permettre d'évaluer à quel point deux êtres s'aiment; ou encore un genre de tonneau proposant un casse-tête à la manière du rubix cube. Grâce à ces succès commerciaux qui se comptent, là aussi en millions de ventes, l'ingénieur devient la poule aux œufs d'or de Nintendo et lui permet d'asseoir un certain poids économique à l'échelle globale. Yokoi est la clé de voûte de l'époque fructueuse de Big N dans l'industrie du jouet.

Du fabricant de jouet au précurseur de jeu vidéo

Mais bien que Gunpei Yokoi soit un excellent créateur de jouet, faisant dans l'innovation et l'original, c'est notamment pour ses prouesses dans le domaine du jeu vidéo qu'on se souvient surtout de lui. Précurseur hors pair, Yokoi a un génie spontané et un esprit assurément visionnaire. Un jour, à bord d'un TGV Shinkansen, Yokoi aperçoit un homme d'affaire se distraire avec une calculette qu'il a bidouillé au préalable et ce, en pressant les différents boutons de la machine. Subitement lui vient alors l'idée de créer, à la manière de cette calculatrice, une petite console permettant de se divertir, de tuer le temps. C'est ainsi que naissent, dans les années 80, les Game & Watch, cette gamme de consoles portables proposant différents types de jeux dont le plus fameux reste Donkey Kong. En effet, grâce à ce titre, Yokoi s'insère, avec son acolyte le jeune Shigeru Miyamoto, dans la légende vidéoludique. Pour ce jeu, Gunpei Yokoi invente la croix directionnelle, un élément ergonomique majeur qui sera par la suite fondamental sur les différentes manettes conçues au fil du temps. Le succès est, une fois de plus, planétaire. La collaboration entre Yokoi et Miyamoto étant fructueuse pour la société, Mario Bros est également élaboré dans ce contexte. Yokoi propose à Miyamoto d'octroyer des pouvoirs « surhumains » à Mario tels que la possibilité de sauter à une hauteur excessive. Et bien que dans l'idée, Miyamoto semble réticent, lorsque celle-ci est traduite dans le jeu, le rendu lui semble très amusant. Qui plus est, Yokoi incite également le papa de Mario à ajouter un mode coopératif dans le jeu. C'est ainsi que Luigi est créé. Tous ces concepts émis par Gunpei Yokoi ne font que renforcer le caractère visionnaire de son esprit vif.

Création de la Game Boy et départ du maître visionnaire

Néanmoins, le plus grand tour de force de Yokoi reste probablement la conception de la Game Boy. A l'instar des Game & Watch, et toujours dans le soucis de pouvoir emporter avec soi sa source de divertissement où que l'on aille, l'ingénieur tâche de faire le design d'une console portable aussi puissante que la NES, bien qu'avec un rendu visuel moins impressionnant ainsi qu'un écran monochrome. Cette invention se hisse troisième, dans le classement des consoles les plus vendues de l'histoire, avec près de 118 millions de ventes. Un record que détient encore de nos jours la Game Boy. L'on y retrouve les inventions précédentes de Yokoi comme le D-Pad, ainsi que les boutons A et B déjà présents sur les Games & Watch. Mais surtout, il apparaît la possibilité de faire usage des cartouches de jeu pour une variété d'expériences ludiques impressionnante. La plus prisée reste le très célèbre « Tetris », un puzzle-game dans lequel il faut faire justement usage de la croix directionnelle pour emboîter ses tétrominos. Ensuite vient les version verte, rouge et bleue de Pokémon, une licence dont Satoshi Tajiri est à l'origine. La Game Boy a connu au fil du temps des évolutions sur le plan du design et des performances. En plus de superviser certain des projets principaux de Miyamoto, Yokoi est également le producteur de nouvelles licences telles que Metroid sur NES, et même Kid Icarus. L'ultime projet, qui scelle définitivement l'attachement charnel de Gunpei Yokoi à Nintendo, se nomme la Virtual Boy. Ce prototype de réalité virtuelle est imaginé par l'instigateur de l'optique visionnaire de l'époque, qui tâche de l'améliorer progressivement. Malheureusement, à l'issu de discussions malmenées entre Yokoi et les autres responsables tels qu'Hiroshi Yamauchi, la Virtual Boy est commercialisée « sous sa forme expérimentale et inachevée », selon son concepteur. Pour Nintendo, cette commercialisation étant désormais effectuée, il est possible de se focaliser sur le développement de la Nintendo 64. Et bien qu'à priori, il ne s'agit pas de l'unique raison ayant poussé Yokoi a démissionner de Nintendo, la sortie précoce de la Virtual Boy se transforme en un véritable échec commercial et contribue très certainement à affermir la prise de décision de son concepteur concernant son départ de la firme en 1996.

 

Une disparition brutale et une philosophie ancrée

Au fond, et même si Gunpei Yokoi continue par la suite à concevoir des titres pour Nintendo, ce travail s'effectue au travers de la société Koto Laboratory, qu'il a directement fondé à la suite de son départ, la démission du brillant ingénieur constitue indéniablement une déchirure pour l'entreprise nippone. On peut suggérer que son départ est également vécu comme une trahison par Nintendo puisqu'il se met à collaborer par la suite avec Bandai, notamment pour la conception de la WonderSwan, un remake de la Game Boy qui fait son effet au Japon, avec plus de 2 millions d'exemplaires écoulés. En réalité, ce départ s'avère consciencieux si l'on observe la philosophie conçue au fur et à mesure de sa carrière par Yokoi. Il s'agit littéralement de « La pensée latérale couplée à la technologie bien comprise ». Cette optique de développement, Nintendo considère la conserver encore de nos jours, si l'on en croit son actuel PDG, Satoru Iwata. Il s'agit pour Yokoi de concevoir dans un soucis de compréhension de la technologie et de son usage à des fins de production originale, divertissantes et peu couteuse, plutôt qu'à des fins de concurrence. Ici, Yokoi prévoit la Guerre des Consoles, qu'il sent venir avec l'arrivée de la Nintendo 64. En 1997, alors que Yokoi promet d'être, selon les interprétations, un adversaire ou un allié de poids pour la Firme de Kyoto, il décède, fauché par une voiture roulant à pleine vitesse alors qu'il vient de sortir de son véhicule pour constater les dégâts d'une collision causée par un camion à l'arrière. Une mort extrêmement brutale et tout à fait inattendue qui fait disparaître l'un des protagonistes majeurs du succès vidéoludique dans le monde. Bien entendu, à l'instar de Bruce Lee, ou de Marilyn Monroe, des théories du complot circulent sur cet homicide, à première vue involontaire. Certains dénoncent les yakuzas, d'autre évoquent même l'idée d'un assassinat par Nintendo pour éviter à avoir à faire face à un concurrent potentiellement dangereux avec le temps. Quoi qu'il en soit, Gunpei Yokoi n'est plus, et il s'agit d'une perte considérable pour l'industrie du jeu vidéo. Évidemment, ceux qui le considéraient et le considère toujours comme leur mentor font régulièrement allusion à sa personne et à sa philosophie. Certains, comme Miyamoto, tâchent de la perpétuer tant bien que mal. Car cette philosophie est critiquable par certains côtés, puisqu'à cause de ces préceptes, Nintendo a depuis longtemps prit du retard quant à la puissance de ses machines vis à vis de celles de la concurrence. Mais au fond, n'est-ce pas cette philosophie qui constitue l'essence même de Big N et qui en fait son unicité ?

Légende : Miyamoto prend soin de l'héritage de son mentor.