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La rédac' s'entretient avec William Audureau, l'historien de Mario

Par zbdoudoude - Le 09/12/2011 à 09:00



Il est des histoires que nous pensons connaître par coeur, des univers qui nous semblent si familiers que nous pouvons croire les avoir créés de nos propres mains. Mais qu'en est-il vraiment lorsqu'un rédacteur acharné se met en quête d'élucider les grands mystères, retrouver les anecdotes perdues, les informations tombées dans l'oubli ? Après 2 ans de travail conséquent, c'est ce que nous propose William Audureau, l'auteur de L'Histoire de Mario, une biographie retraçant la naissance et les premiers pas de ce qui deviendra l'icône du jeu vidéo à travers les générations. Nous pensions naïvement tout savoir sur ce soi-disant plombier italien ? Apprêtez-vous à être surpris.

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On peut logiquement penser que l'histoire d'un personnage de jeu vidéo ne se résume qu'à quelques évènements pas bien importants du fait qu'il soit virtuel. Mario aurait très bien pu voir le jour naturellement, dans un climat prospère et agréable, enchaînant les épisodes fameux et acclamés sans matière autour au final. Mais tout ceux qui pensent ça du plombier moustachu se mettent le doigt dans l'oeil, l'histoire de Mario est bien plus originale qu'on aurait pu le penser et surtout bien plus mouvementée.

A lire le récit que William Audureau nous a concocté avec ce livre, on pourrait presque croire au parcours semé d'embûches d'une rockstar qui se heurte parfois aux réalités de l'époque. Car oui à en ces temps là, le jeu vidéo n'est pas tout rose et n'a clairement pas la santé de fer qu'on lui connait aujourd'hui. Le tout jeune Nintendo of America débutera son existence sur une pente glissante, avec des concurrents agressifs et surtout un manque de jeux propres à la marque tandis que Nintendo of Japan roule vers la réussite grâce à sa Famicom, ses Game & Watch et ses succès en Arcade. C'est tout cela que nous raconte L'Histoire de Mario, un historique complet qui relate la dure réalité de l'époque, lorsque Nintendo n'était pas encore connu mondialement et avait encore tout à prouver. On s'amusera de voir d'ailleurs que pendant les premières dizaines de pages, Mario joue les grands absents, l'auteur préférant clarifier le contexte de Nintendo à la fin des années 70 début 80. Car oui, il en faut de la patience pour découvrir ce qui se cache derrière le mythe de la salopette rouge devenue bleue.


L'Histoire de Mario
récolte en plus de 400 pages toutes les étapes qui ont amené à la création de ce héros et surtout le succès qu'on lui connaîtra par la suite. Très rares sont les images, mais omniprésente est la passion de son auteur. On peut être assez rebuté par l'aspect lecture et informations plutôt qu'un récit imagé et coloré, mais c'est pour mieux comprendre l'essence du personnage. Attention donc à tous ceux qui ne portent pas les lettres dans leurs coeurs ! Pour les amoureux de littérature et de jeux vidéo, vous n'avez aucune raison de passer à côté de cet ouvrage. La passion se ressent à chaque phrase et le souci du détail est si impressionnant qu'on se demande parfois comment de telles recherches ont pu être effectuées sur seulement deux années. Sachez en plus que le livre ne relate pas toute l'histoire de Mario, mais seulement ses dix premières années, de 1981 à 1991, ce qui rend le travail de William Audureau encore plus impressionnant quand on se dit qu'un ouvrage aussi massif a été créé à partir d'un seul tiers de la vie du héros de Nintendo, et sûrement le moins connu.


Nous ne pouvons que vous recommander cet ouvrage qui fait preuve d'une réelle recherche, dépassant sûrement tout ce que vous pourrez trouver ici et là sur internet. Vous allez ainsi complètement redécouvrir le personnage de Mario et voir qu'en fait il n'est pas qu'un plombier joyeux qui trône fièrement au sommet des charts mondiaux à chacune de ses sorties, mais réellement un survivant de l'époque où les jeux vidéo auraient pu ne devenir qu'un lointain souvenir, et surtout l'ascension complètement inattendu de ce qui deviendra le héros le plus connu des jeux vidéo.

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Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec l'historien de Mario, William Audureau, le temps de quelques questions sur son ouvrage :


* L'Histoire de Mario est un livre conséquent : plus de 400 pages pour seulement une poignée d'images alors qu'à l'origine le projet était à l'opposé, un recueil visuel des personnages cultes du jeu vidéo. Comment un tel twist peut survenir lors de l'écriture ou de la pré-production d'un livre et comment cela se vit-il en tant qu'auteur ?

J’avais un avantage, c’est que je n’étais pas seulement l’auteur, mais également le responsable de collection. J’étais un peu l’ouvrier et le contre-maître en même temps, c’est un peu schizophrénique, ça demande une certaine contorsion, mais si je voulais donner des coups de fouet à quelqu’un, c’était à moi qu’il fallait que je m’en prenne ! En vrai, je savais dès le début que c’était une possibilité à envisager, mais avec Pix'n Love, nous voulions absolument commencer par un livre « pop » pour voir, visuellement, ce que ça donnait. Le résultat était d'ailleurs vraiment sympa… Mais à partir du moment où nous n’étions pas sûr de pouvoir le publier en l’état, il fallait prendre une toute autre direction, et au lieu de partir à la chasse aux images, je suis parti à la chasse aux idées préconçues, pour faire sûrement l’enquête la plus approfondie que j’ai eue l’occasion de faire. L’ironie de l’histoire, c’est que le « Qui es-tu Mario » n’était pas le seul livre ‘test’ de la collection. Nous avons également lancé en parallèle un « Qui es-tu Sonic » qui a eu un destin complètement différent, puisque SEGA a décidé d’en faire un livre officiel, qui sortira prochainement aux éditions Pix’n Love ! Visuellement, c'est exactement le contraire de L'Histoire de Mario, un vrai feu d'artifice. Quand on voit L’Histoire de Mario et le livre anniversaire officiel des 20 ans de Sonic, il faut un certain effort d’imagination pour se rendre compte qu’ils viennent à l’origine du même projet, et pourtant, c’est bel et bien le cas…
 

* Le personnage de Mario a certes été choisi par rapport à ton passé de joueur mais l'actuelle popularité du personnage a t'elle également aidé à prendre cette décision ?

La question est amusante, lors d’une entrevue récente avec un responsable marketing de Nintendo France, celui-ci m’expliquait que Mario vivait depuis 2006 un regain de popularité. Il a même eu ce lapsus amusant : « Mario est récemment devenue la mascotte de Nintendo, pardon, redevenue ! ». En tant que joueur, Mario a toujours été là dans ma vie de joueur, mais avant de parler avec lui, je n’avais pas réalisé que toute une génération a connu Nintendogs avant de connaître New Super Mario Bros Wii, par exemple. Donc oui, il semble bien qu’il y ait un regain de popularité de Mario, pour autant est-ce que cette tendance a motivé le choix de Mario comme sujet de mes recherches ? En vrai, non. Dans la première mouture du livre, quand il était encore beaucoup plus court et très visuel, je me disais plutôt « Mario est un personnage intemporel, intergénérationnel ». Bref, fédérateur. Il s’est imposé comme une évidence. Je n’aurais jamais commencé par Pac-Man, parce que son actualité est quasi-inexistante, ni par les piafs d’Angry Birds, parce qu’aussi belle que soit leur success story, à l’échelle du jeu vidéo, ils n’ont pas encore d’histoire. En revanche, la question s’est  posée pour les lapins crétins, qui sont à la fois des créatures très iconiques, parfaitement adaptées à un livre visuel, mais qui ne sont que depuis une génération de consoles.


* Ton approche pour ce livre était d'apporter une incroyable dose d'informations quant à la naissance de Mario, son évolution, son histoire mais aussi sur ses créateurs. Des informations qui ne sont pas forcément répertoriées sur internet ou parfois faussées. Comment entreprend-on un tel travail qui semble, de prime abord, difficilement réalisable ?

Prenons la question à l'envers. Y a-t-il beaucoup de personnes qui colportent des erreurs volontairement, juste pour le plaisir ? Je n'en connais pas des masses. Souvent, il y a un manque de vigilance, et surtout, de temps. Il ne faut pas se leurrer, l’immédiateté est la meilleure amie de l’erreur. Vérifier une information, cela suppose de revenir aux sources d’époque, donc déjà de les identifier, de les trouver, parfois de les analyser, de les remettre dans le contexte… Et ce qui fait la différence, c'est le temps que l'on s'accorde. C’est pour ça que le livre m’a pris deux ans. J'avais la chance de ne pas avoir de contrainte de bouclage, et cela change énormément l'approche. Evidemment, on n’a pas toujours deux ans à consacrer à chaque fois qu’on a une question… C’est donc une question de priorité. J’aurais pu consacrer ces deux ans à l’histoire du conflit israelo-palestien, aux débats éthiques sur l’euthanasie, ou aux implications futures des réformes des retraites. Heureusement j'ai préféré un sujet plus fondamental, l’histoire d’un moustachu gobeur de champis.

 
* En écrivant un tel livre, il est impossible de passer outre le personnage de Miyamoto si cher aux fans de Nintendo. Mais tu as tenu à "casser" le mythe en mettant en avant les autres grandes figures de Nintendo, bien plus silencieuses comme Takashi Tezuka et Gunpei Yokoi pour qui tu sembles avoir une grande affection. Une envie de remettre les pendules à l'heure quant à la création de Mario, Miyamoto éclipsant trop souvent ses compagnons ?

Pas initialement en tout cas ! Cela vient au fur et à mesure des recherches. Quand on tombe sur des interviews où Miyamoto lui-même avouait que dans ses jeunes années, il faisait tout pour se mettre en avant, on se dit « tiens, la réalité est donc un peu plus complexe que le mythe du génie touché par la grâce ». Cela n’enlève rien à son talent, évidemment. Mais comme lui-même le reconnaît de plus en plus à partir des années 2000 : il n’est pas seul. Le jeu vidéo se nourrit beaucoup du fantasme de génies créatifs, mais il ne faut pas oublier que les jeux sont des produits collectifs, réalisés par des entreprises. La logique de la communication l’emporte souvent sur la réalité du métier, mais, hey, difficile de tout avoir !


* Le livre s'arrête lors de la création du célèbre film Mario Bros. car c'est une sorte de consécration (certes, empoisonnée) qui n'a pas été accordée à d'autres personnages de jeu vidéo. Pour toi, Mario a atteint le point culminant de sa carrière à cette époque là ?

Oui, et à double titre. D’abord parce qu’il est évidemment au sommet de sa popularité mais aussi parce qu’il sert de modèle à de nombreux autres éditeurs. Aujourd’hui, j’ai l’impression que l’on assiste au retour du jeu de plate-forme en général, davantage qu’à Mario en particulier, même si par la qualité de ses dernières apparitions, il est tentant de mélanger les deux. Mais je ne vois pas de dessin animé Mario, de film Mario, ou de nouvelles séries dérivées de Mario, comme ce fut abondamment le cas au début des années 90.


* Si une suite à ton livre n'est pour le moment pas prévue, est-ce parce que la création d'un mythe, ses débuts (parfois difficiles), ses anecdotes et autres sont les parties les plus intéressantes dans l'histoire d'une icône ? Et qu'une fois la machine en marche avec les succès automatiques qu'on lui connaît, tout devient en quelque sorte plus carré et ennuyeux ?

Oui, ça joue. Encore que. La deuxième partie des années 80 n’est que success story pour Mario, et pourtant, de jeu en jeu, de Super Mario Land à Super Mario World en passant par Super Mario Bros 3, que de trouvailles à chaque fois ! Si je ne parle pas encore de suite, en réalité, c’est pour des raisons assez pratiques. D’abord, un besoin de voir autre chose que des moustaches et des salopettes pendant quelques temps, après deux ans d’asservissement volontaire ;-) Ensuite, il y a une profusion de jeux Mario dans les années 90 qui rend le personnage très dur à cerner. Quel rapport entre le Mario de Super Mario World 2, Mario Paint, et Mario Hotel ? Pas grand-chose. Comment réussir à raconter une histoire avec des éléments aussi épars, c'est une énigme que je n'ai pas encore résolue.


* Bien sûr, prendre ses sources chez Nintendo eux-mêmes viendrait à l'idée de quiconque travaillerait sur un tel ouvrage. Mais tu as dit qu'il était parfois mieux de s'en écarter pour récolter des informations autour d'eux plutôt. Pourquoi ? Cette recherche ne complique-t-elle pas énormément la tâche, les sources devenant ainsi innombrables et mondiales ?

Si, forcément. Une interview, cela va toujours plus vite que des recherches ! Mais la tentation est de prendre pour argent comptant ce que notre interlocuteur raconte. Par exemple, un Iwata Asks récent raconte que l’idée de faire de Star Fox un jeu de tir vient de Miyamoto à l’origine. Très bien, donc Miyamoto a eu l’idée de faire de Star Fox un jeu de tir, emballé c’est pesé. Sauf que si vous interrogez d’autres personnes impliquées sur le projet, elles auront un discours tout autre : en fait, Star Fox devait être une suite à Star Glider, avant que Nintendo ne prenne le projet sous son aile. Sauf que comme de nombreuses sociétés japonaises, Nintendo a une ligne de conduite : ne jamais citer la concurrence dans les interviews. La vérité, au final, semble entre les deux : Star Fox était initialement un jeu de tir en 3D libre à la façon de Star Glider, mais Miyamoto, peu convaincu, l’a réorienté vers la piste d’un jeu de tir sur rail. Deux sources, trois versions possibles… Bienvenue dans les méandres de l’histoire du jeu vidéo ! Qui sait, nous en apprendrons peut-être plus prochainement. Je crois savoir que l’un des prochains numéros de Pix’n Love sera justement dédié à Star Fox, et je l'attends avec grande impatience.

* Pour nos lecteurs, une petite anecdote sur Mario que l'on ne trouve pas ailleurs que dans ce livre (ou alors très difficilement, en tombant sur une interview papier d'un journal local brésilien de 1987) ?

Ce n'est pas une anecdote sortie du livre, mais elle introduit bien au game design façon Nintendo. Steel Diver, l’un des jeux de lancement de la 3DS, devait initialement être un jeu de lancement de la… DS. Mais Super Mario 64 DS, jeu de lancement de la DS, devait lui-même être l’un des jeux de lancement du DD64, le périphérique de la Nintendo 64. Super Mario 64, jeu de lancement de la Nintendo 64, était à l’origine prévu pour accompagner la PlayStation, le lecteur CD de la Super Nintendo. Alors que Super Mario World, jeu de lancement de la Super Nintendo, a d’abord été développé sur… NES ! Chez Nintendo, rien ne se perd, rien ne se créer, tout se transforme…  La première façon de le voir, c'est que la société à un certain art du recyclage. Certes. Mais elle permet surtout de constater qu'elle a un réservoir très impressionnants de concepts et de jeux devant elle. Un article publié il y a quelques semaines s'inquiétait des nombreux inédits qui dormaient dans les placards de Nintendo. Mais c'est tout sauf un handicap : quel éditeur ne rêverait pas d'avoir un coffre-fort rempli de jeux, d'idées et de concepts prêts à être exploités ?

 
* Enfin, après un tel travail d'archive pour un résultat qui en valait la peine as-tu l'intention, un jour, de t'attaquer à une autre grande figure du jeu vidéo ? Si oui, laquelle ? (... Qui es-tu Kirby, par exemple !)

Hé hé ! 400 pages sur Kirby, ce serait mon rêve **