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Fire Emblem : Sauvetage réussi d’une licence travestie

Par Mimir - Le 14/04/2023 à 10:00

Note avant de commencer la lecture : cet article a été écrit il y a plusieurs années et a été… oublié. Il a été repris après la sortie de Three Houses et a été… oublié. Il vient d’être repris après la sortie d’Engage et n’est plus oublié ! Aussi, bien que quelques données aient été actualisées, certains éléments peuvent paraître anciens car ils le sont, mais demeurent à mon sens toujours pertinents. Par la force des choses, le déroulé de cet article suit donc un ordre très chronologique. Sur ce, espérons-le, bonne lecture.


L’emblème du feu s’éteint. Flamboyant des années durant, il perd de son éclat, preuve en est que le succès ne ravive pas la flamme, mais l’étouffe. Curieux phénomène que voici : Fire Emblem est passé de l’ombre qui l’aura préservée à la lumière qui lui aura brûlé les ailes. Un destin aussi inattendu que navrant pour une licence qui aurait dû disparaître des années auparavant.

Il faut s’y résoudre, Fire Emblem a perdu ses lettres de noblesse acquises au prix des ans. Monument du Tactical RPG jusqu’à il y a encore 15 ans, aujourd’hui, il ne s’agit ni plus ni moins d’une licence dénaturée par le besoin d’audience. L’apogée de son histoire s’éloigne à grands pas. Le temps file depuis la sortie des deux épisodes indissociables : Fire Emblem : Path of Radiance sorti sur Gamecube en 2005 et sa suite, Fire Emblem : Radiant Dawn sur Wii en 2008. C’était une époque étrange où un jeu racontait avec brio une histoire captivante et passionnante, et non pas trois à la fois qui s’égarent en chemin.

De la tourmente au succès (commercial).

Pour expliquer cette inexorable dégénérescence, il convient de porter un regard sur l’histoire « récente » de la série. Lors de la sortie en Europe de Fire Emblem : Path of Radiance, la licence est encore méconnue. Ce n’est en effet que le troisième opus à voir le jour au sein de nos frontières, et le Tactical-RPG n’étant pas un genre grand public, le jeu passe finalement assez inaperçu. Au Japon, ou près d’une dizaine d’épisodes sont déjà parus, le succès n’est guère plus au rendez-vous. À peine 160 000 copies se sont écoulées là-bas, et moitié moins en Europe. En tout, Fire Emblem : Path of Radiance se contentera de moins de 600 000 exemplaires vendus partout dans le monde. Décevant. Le parc extrêmement restreint de la Gamecube, en difficulté face à la concurrence, ne jouait pas en la faveur du jeu, même si d’autres ont su tirer leur épingle…

Mais aussi légitime cet argument pouvait-il l’être, il ne tient plus pour sa suite, Fire Emblem : Radiant Dawn sorti sur Wii. Avec une petite centaine de millions de consoles, le tactical RPG a à sa disposition plus de machines qu’il n’en faut pour s’établir dans de nombreuses maisons. Et pourtant, non. Rebelote. Le jeu s’écoulera à peine à plus de 500 000 exemplaires. Un carnage au regard du parc de consoles installées pour une licence Nintendo. La palme du mauvais goût pour ne pas se ruer sur ce trésor de la Wii revient à l’Europe et les quelque 30 000 copies vendues. Une honte.

Il faut dire que Nintendo, à l’époque, n’a guère fait d’efforts pour promouvoir son jeu méconnu. Nombreux sont ceux à avoir découvert l’existence de cet univers à travers Super Smash Bros Melee et Super Smash Bros Brawl qui ont eu la grande idée d’intégrer Marth, Roy et Ike. Le jeu de combat de Masahiro Sakurai fut au final le seul support marketing solide dont profitèrent les jeux.

Aussi, face à ce cinglant échec, l’avenir de la licence est remis en question. À quoi bon persévérer et investir dans une série qui ne parvient pas à percer, et donc à rapporter ?

Mais pour le meilleur et pour le pire, une dernière chance est offerte à la série : Fire Emblem : Awakening sorti sur Nintendo 3DS en 2013. Un titre de circonstance. Et c’est un succès ! Une franche réussite avec, à ce jour, deux millions de copies distribuées dans le monde. Le placard dont la porte s’était entrouverte pour accueillir la licence s’éloigne. Plus question de remettre en cause son existence.

Alors quelle est l’exacte raison de ce soudain succès ? Est-ce le renouveau de la licence, incluant des changements pas toujours très heureux, ou bien simplement la communication/promotion de la part de Nintendo, inexistante jusqu’à lors ? Difficile à dire. Une chose semble néanmoins certaine, Nintendo est persuadé que la série prend la bonne direction, pour notre plus grand malheur…

Diviser pour mieux rater

Avec Fire Emblem : Awakening, la série s’est avant tout adaptée à son époque pour plaire au plus grand nombre, condition sine qua non de la réussite. Le design des personnages a fait peau neuve et la difficulté a été revue à la baisse. Certains diront à raison qu’elle s’est « casualisée ». Effectivement, Fire Emblem était autrefois plus punitif, car, rappelons-le, un personnage mort le restait. Mais aujourd’hui la donne a changé. Toutefois, cette facilité n’est imposée à personne. Ce n’est qu’une option qui permet à celles et ceux qui ne souhaitent pas faire face à une trop grande difficulté de passer outre. Tant mieux si cela leur permet de découvrir un nouvel univers, les autres feront comme d’habitude.

Mais l’origine du problème responsable du déclin de la licence est ailleurs. S’il est apparu dans Awakening, avec également son lot de bonnes idées faisant de lui un jeu néanmoins agréable, il s’est accentué dans Fire Emblem : Fates.

Si d’un point de vue du gameplay, il n’y a pas grand-chose à reprocher aux épisodes portables, notamment avec l’intégration du système de duo, on ne peut s’en contenter. Fire Emblem a beau être un T-RPG, il n’est pas question que de gameplay, de mécaniques diverses et variées. Fire Emblem, c’est aussi une histoire. Une histoire à découvrir et qui nous exhorte à avancer. Des dialogues. Une narration. Mais où donc tout cela est-il passé ? Intelligent Systems a-t-il omis cela sur son cahier des charges ? Y a-t-il eu des lacunes dans le processus de développement ? Non, probablement pas. Tout cela était prémédité comme un crime savamment orchestré.

Fire Emblem : Path of Radiance et sa suite Radiant Dawn ont en commun une particularité qui fait toute la différence avec leurs successeurs : à peine commence-t-on la partie que l’on a le sentiment que ce monde a vécu avant même que l’on écrive son histoire future. L’histoire des Beorc et des Laguz autour de laquelle tourne une bonne part de l’intrigue n’y est pas étrangère. Les nombreuses nations qui occupent toute une part dans la guerre, les alliances, les trahisons, Ashnard, les Marqués, l’apôtre, le Chevalier Noir… Tout s’entremêle à merveille. Tout soulève des questions et nous incite à chercher des réponses, et cet ensemble est porté par des personnages charismatiques (qui a dit Ike ?). C’est précisément ce qui pousse sans cesse le joueur à aller de chapitre en chapitre, pour connaitre la suite de l’histoire, savoir comment agiront des personnages au sein d’une guerre totale dans laquelle on ressent ce qui manque cruellement aux derniers épisodes : une impression de grandeur.

Et que dire du narrateur ? Le grand oublié, peut-être un peu poussiéreux, mais qui faisait pourtant merveille dans ces épisodes. Il ne s’agissait pas uniquement d’enchainer les cartes les une à la suite des autres agrémentées en tout et pour tout de trois lignes de dialogues parfaitement banales. Le jeu prenait le temps de nous expliquer la situation, de quelle manière elle avait évolué et ce qu’elle impliquait. S’en suivait alors un échange entre les personnages, des réflexions sur le comportement à adopter face à l’ennemi, sur les stratégies à employer, des accords, des désaccords. Le joueur n’était pas impliqué dans le jeu seulement au moment de faire glisser son personnage d’une case à l’autre, mais bien tout au long de l’histoire. En bref, il la vivait.

Et pourtant, Awakening et plus encore Fates ont tout renié. Un scénario prévisible, comme bien souvent lorsque l’on commence avec un personnage amnésique : la facilité qui permet tout mais au final ne surprend en rien. Aucun rebondissement à l’horizon dans la version Hoshido, et aucune réponse au peu de questions posées. Et les autres versions font à peine mieux. La narration a disparu, elle qui contribuait pourtant à l’adhésion du joueur au scénario. Les dialogues sont d’une pauvreté affligeante. Que ce soit l’exposition de tableaux en pleine guerre, les bonbons (recyclés à plusieurs reprises pour plusieurs personnages), la plupart sont d’une navrante banalité. On pourra pardonner l’errance en se rappelant qu’il s’agit là de dialogues de soutien, et donc secondaires, que les personnages sont nombreux et donc l’imagination vient à manquer. Mais la trame principale suit malheureusement la même voie désolante du début à la fin.

Et pourtant, on espère que non. Mais avouons-le, lorsque l’on entend, dès les premières minutes, « Mais tu es mon frère. » « Oui, je suis ton frère. », « C’est notre frère, rendez-le-nous. », « Mais non, c’est notre frère à nous. », on comprend que ce ne sera pas des dialogues de haute volée. Ce schéma se répétera inlassablement jusqu’à la toute dernière minute de souffrance éprouvée par le joueur. Fates se révèle finalement être un enchainement de cartes à l'ingéniosité variable. Une profonde déception renforcée par une décision purement commerciale : la fragmentation du jeu en plusieurs versions. Certainement la bonne idée pour rentabiliser encore davantage un projet qui l’aurait été de toute manière. N’est-ce pas là la raison de la médiocrité de l’écriture et du scénario ? Trois fois plus de dialogues à écrire, un scénario à fragmenter… Un beau gâchis en somme.

Bien sûr, nous pourrions également revenir sur les différents designs des personnages. Indéniablement, là aussi plaire au plus grand nombre aura été l’une des raisons d’un changement de taille déjà amorcé dans Awakening. Mais Fates porte plus haut encore le changement. Place à la couleur… et aux diversités des formes. Certains parleront d’un vent de fraicheur, d’autres de japoniaiserie, quand les derniers brandiront simplement le modernisme. Peut-on pour autant reprocher le changement ? Sur ce point-là au moins, tout est affaire de goût. La seule chose certaine, c’est qu’avec moins de couleurs et de formes, le charisme se faisait malgré tout plus prégnant.

Bis repetita

Les choses auraient pu changer avec la venue d’un épisode destiné à une console de salon, du moins en partie. Et d’une certaine manière, elles ont changé. Ironiquement, les errances que l’on pouvait reprocher à Fire Emblem Fates ne sont pour la plupart pas présentes dans le nouveau né de la série, Fire Emblem : Three Houses. Le design des personnages a évolué, et là encore on en discutera finalement très peu car, comme nous l’avons dit, tout est affaire de goût.

En revanche, indéniablement la qualité des dialogues a remonté d’un cran. Si l’on n’échappe pas aux classiques histoires de bonbons et cuisines, l’ensemble paraît moins simpliste et plus recherché, avec parfois un peu de vocabulaire inattendu. La trame principale se voit également mieux écrite, grâce à des personnages centraux sans doute un peu moins caricaturaux, et qui jouissent d’une évolution réelle au fil de l’histoire. De même, on ne peut nier la volonté des développeurs de proposer un monde construit sur un passé étoffé, mais si maladroitement amené que le joueur croule sous les noms de personnages historiques et de régions, si bien qu’il n’en retiendra rien.

Bref, s’il ne s’agit pas là d’une base parfaite, elle a le mérite de gommer les lacunes cumulées sur les dernières sorties. Ce bon point ne permettra malheureusement pas de porter une histoire à un tout autre niveau.

Les développeurs ont pris le fâcheux parti, comme pour Fates, de diviser le scénario en trois segments, pour ne pas dire quatre. À croire qu’il en est trop complexe pour être linéaire. Si cette fois-ci l’ensemble de l’histoire tient sur une seule cartouche et nous évite de repasser à la caisse une énième fois, un autre obstacle se dresse sur notre chemin : le jeu lui-même, et plus exactement sa structure aussi bien répétitive que fastidieuse. Comment trouver la force d’obtenir toutes les réponses posées par le premier scénario entrepris, quand il faut tout refaire de A à Z, quand bien même ce qui serait raconté, et dont nous n'aurons pas connaissance, mériterait toute notre attention ?

Le coupable ? Le Monastère, encore une fausse bonne idée. Éventuellement récréatif au début, il en devient bien vite rébarbatif et imbuvable. La moitié de son temps, le joueur est amené à errer dans des couloirs pour ramasser de petits points lumineux au détour d’une rencontre qui se soldera par deux lignes de dialogues, ceci afin de permettre aux étudiants de nouer des liens avec un personnage qui n’inspire rien autant qu’il n’aspire à rien. Une coquille vide dénuée de voix qui place directement le joueur, simple spectateur, au centre de l’attention. Vous regardez les autres vous regarder. Un programme pour le moins original et qui fatalement ne prend pas.

Or, nous l’avons déjà dit, Fire Emblem, ce n’est pas seulement une succession de cartes. C’est avant tout une histoire et des personnages. Malheureusement, l’histoire est fragmentée et ternie par le principe même du Monastère qui n’a de cesse de casser le rythme du jeu en plus de la rendre improbable. Vous annoncer que le temps presse et qu’une mission est urgente quand on vous laisse dans le même temps un mois de battement pour prendre le thé avec vos bons élèves fait perdre quelques points de crédibilité à l’ensemble.

Impossible de ne pas ressentir l’influence de Koei Tecmo dans Fire Emblem : Three Houses. En témoigne d’ailleurs une petite nouveauté apparue dans cet épisode : il est possible de zoomer sur la carte jusqu’à pouvoir diriger notre personnage au milieu du champ de bataille, à la manière d’un certain Fire Emblem Warriors. Sans doute peut-on d’ailleurs imputer à cette innovation prometteuse sur le papier la médiocrité technique du titre, étant donné que cet affichage de nombreux PNJ se réalise sans interruption du jeu. C’est d’autant plus dommage qu’il nuit à la lisibilité de l’ensemble et sera donc au final inutilisé puis vite oublié.

Pourtant l’intention était louable : faire sentir au joueur qu’il n’était pas seul sur le champ de bataille et lui donner cette impression de grandeur qui manquait tant aux opus 3DS. Malheureusement cela ne fonctionnera guère. Le sentiment d’être une poignée opposée à une autre persiste, dans une moindre mesure sans doute que les opus portables, mais la mayonnaise ne prend pas.

Fire Emblem Engage un retour aux sources

La grandeur ne viendra pas du dernier né en date de la série, Fire Emblem Engage. Sorti récemment sur Nintendo Switch, le titre essaye, sans y parvenir complètement, de s’approprier ce qui faisait la force des précédents opus tout en délaissant, en partie, les lourdeurs et les maladresses de ses aînés. Autrement dit, il nage entre deux eaux.

Précisons d’emblée que l’on ne reviendra pas sur tout ce qui a trait au gameplay et aux nouveautés proposées, notamment le système d’Emblème. La question sera néanmoins subrepticement abordée, ceux-ci faisant partie intégrante du scénario. Ce n’est donc déjà en soi pas une mauvaise idée, et même plutôt une bonne, d’intégrer au scénario du jeu un élément de gameplay et vice versa.

Commençons tout d’abord par les motifs de réjouissance, et heureusement, il y en a plusieurs. Le premier et non des moindres : il est enfin possible de profiter d’une histoire complète sans avoir à terminer le jeu à plusieurs reprises. Enfin Intelligent Systems a compris qu’il n’y avait qu’un intérêt ludique extrêmement limité sinon nul à proposer aux joueurs de s’enfermer dans une boucle d’errance, comme l’exigeait Three Houses, pour profiter pleinement du scénario d’un jeu et en cerner tous les aspects.

Mieux, la purge du concept du Monastère, consistant à déambuler dans des couloirs sans grand intérêt entre deux missions a été, si ce n’est supprimée, largement révisée. Si le Monastère n’est plus, Somniel, la nouvelle « base », a pris le relai. Si l’idée est sensiblement la même, savoir se promener dans des couloirs afin d’y croiser ses compagnons d’armes, acheter de l’équipement et pratiquer quelques autres activités annexes, force est de constater que cette partie-là s’est sensiblement fait raboter, pour notre plus grand soulagement. Dans Three Houses, les jours succédaient les uns aux autres, mais tous se ressemblaient inlassablement car le joueur s’enfermait dans une routine où, pour se soustraire autant que possible à ces longueurs épuisantes et couloirs interminables, planifiait le moins pire des chemins.

Tout cela dans Engage est non seulement plus sommaire mais surtout presque annexe, et personne ne sera pénalisé de ne pas s’y investir. Un virage bienvenu offrant une répartition plus harmonieuse du temps passé entre le cœur du jeu, les combats, et… la perte de temps.

Pour preuve, la quasi-totalité de ce qu’il est possible de réaliser à Somniel, hors mini jeu, est directement accessible via des menus tout à fait classiques, comme cela était le cas jadis. L’efficacité au prix de l’austérité, et encore…

Enfin, il est également à noter une très nette amélioration du côté des dialogues. Ceux-ci sont dans la continuité de Three Houses, qui avait déjà su relever le niveau abyssal de Fates, et sont peut-être même un cran au-dessus. Il ne s’agit pas uniquement de juger le fond, mais aussi la forme, et dans un cas comme dans l’autre, et surtout dans le second, on en sort avec un meilleur sentiment et cela fait grand bien. Toutefois, ils pâtissent du scénario et de l’écriture des personnages qui ne sont pas à leur hauteur.

Ils forment en effet l’un de nos principaux regrets. Il n’est sans doute pas aisé d’écrire pour tant de personnages, pas plus qu’il ne l’est de leur forger une personnalité riche, et on peut effectivement le constater. Le fait est que chacun des personnages qui gravitent autour d’Aléar est défini par un trait de caractère qui en devient une personnalité tout entière. Ce n’est en soi pas nouveau, pas plus que cela ne serait un problème s’il ne manquait pas à chacun un peu de relief qui leur permettrait d’émerger de la masse. Si la simplicité n’est pas un défaut, exploitée à outrance, elle ne peut se suffire à elle-même.

L’essentiel du problème réside, comme nous l’avons dit, dans le fait que ces personnages « gravitent » autour d’Aléar. En somme, ils n’ont aucune valeur. Ce ne sont que des faire-valoir affublés d’un trait de caractère et d’une apparence qui leur permettent de se distinguer les uns des autres mais sans leur donner aucune consistance. Faire valoir, car Aléar étant amnésique (…) il n’y a rien à raconter le concernant. Ils n’existent donc que pour le mettre en valeur, et ce, de la pire des manières. À l’image de la simplicité, la bienveillance règne à outrance. Tous les personnages sont d’accord avec Aléar. Tous sont élogieux à son sujet. Et tous sont heureux d’être à ses côtés. Ses ennemis qui deviennent ses alliés ne manquent pas les occasions de le trouver prodigieux à leur tour, alors même qu’il n’a rien accompli… Les Emblèmes ne seront pas en reste et, les concernant, on regrettera finalement que leur personnalité et leur temps d’antenne ne soient pas davantage marqués.

Le personnage d’Aléar qui, bien que doté de la parole, éloignant par la même le spectre de Byleth, c’est-à-dire une coquille vide inexpressive et muette, n’en demeure pas moins extrêmement creux et donc décevant. Le fait qu’il ne soit jamais mis en difficulté ou contredit par ses compagnons emplis de bienveillance à son égard, que cela s’inscrive ou non dans le scénario du fait même de son statut divin, ne lui permet ni de s’exprimer convenablement ni de se révéler, et en aucun cas d’être charismatique. Et ce n’est pas le soutien et l’admiration exagérément appuyés des siens, dans le seul but de faire briller un personnage terne, qui changera la donne. Pas plus que les couleurs saturées. C'est en somme un leader par défaut. C'est lui, parce que ce doit être lui.

L’origine de cette défaillance provient en partie du choix de rendre le personnage amnésique, choix dont le seul intérêt est de dissimuler aux joueurs qui est vraiment le personnage d’Aléar. Cela est d’autant plus regrettable que la révélation qui intervient à son sujet n’en est pas une dans la mesure où la plupart des joueurs avaient déjà compris bien auparavant toute ou partie de la vérité, si bien que l’effet produit est bien éloigné de celui qui devait être recherché. La mise en scène de la révélation nous aura d’ailleurs laissé pantois.

Le choix de l’amnésie n’est autre que celui de la simplicité qui, dans le cas présent, ne mène qu’à la déception. Ceci n’est qu’un point de vue tout à fait personnel, plus encore que ce qui précède, mais n’aurait-il pas été plus intéressant de voir Aléar s’éveiller avec tous ses souvenirs ? Que lui-même, et le joueur aussi, sache parfaitement qui il est. L’intérêt pour le personnage et pour l’histoire, car en l’occurrence, l’un est indissociable de l’autre, n’aurait-il pas été bien supérieur ? Aléar aurait gagné en relief et en profondeur en étant, peut-être, à la fois sujet à une forme de honte et de fierté. Son identité dissimulée à ses compagnons, le mensonge l’aurait accompagné, parfois les confidences, le soutien et la méfiance voire la défiance. Mais dans Engage, vous ne trouverez rien de tout cela. Tout le monde est bienveillant. Le personnage est lisse et inintéressant au possible. Et comme Aléar est l’unique composante de cette histoire, elle lui est similaire en tout point. Et, avouons-le, ce n’est pas Sombron, l’antagoniste de cet épisode, qui éblouira qui que ce soit, lui qui sonne aussi creux que le Dragon Divin, et dont les réelles motivations sont révélées au joueur à la toute fin et font l’effet de… rien. À l’image des rares rebondissements qui n’en sont pas tant ils sont improbables, maladroitement amenés et parfois desservis par une mise en scène… pour ainsi dire absente ou datée, selon les cas.

À peine osera-t-on parler des 4 chacals qui auraient pu être intéressants s’ils avaient eu pour eux un soupçon de crédibilité, perdue avant même d’en avoir gagné une once après avoir été chacun vaincu à de trop nombreuses reprises pour se rappeler du nombre exact. De sérieux concurrents à la Team Rocket.

Le mot de la fin.

Fire Emblem a de toute évidence été sauvé, mais est-ce encore Fire Emblem ? Suffit-il de déplacer de petits personnages sur un échiquier pour assurer que l’emblème du feu brûle toujours ? À vouloir moderniser la licence, à la voir se perdre sur des éléments annexes qui n’apportent finalement que peu d’intérêt sur le long terme, voire nuisent à l’expérience globale, que reste-t-il vraiment de ce qui faisait, presque deux décennies auparavant, sa grandeur ?

Au fil des derniers épisodes, Fire Emblem s’est essayé à diverses nouveautés plus ou moins heureuses, avec plus ou moins de succès, et un certain nombre d’échecs (dialogues appauvris, scénario fragmenté, personnages creux, errance laborieuse…). Il est néanmoins rassurant de constater que si des lacunes naissent, elles peuvent aussi s’estomper, voire disparaître. Engage en est en la preuve imparfaite. Alors qui sait, peut-être le prochain titre sera-t-il une synthèse accomplie, enrichie de ce qu’il y a de meilleur et édulcorée du pire. Après tout, il ne manque plus grand-chose pour revenir à l’âge d’or : juste un peu de relief. Le chemin à suivre n’est pas difficile. Il suffit de regarder en arrière.

* Il n’aura échappé à personne que le regard critique aura été porté à travers le prisme de la nostalgie. Il faut le reconnaitre, on a souvent tendance à surévaluer un jeu pour peu que l’on en garde un bon souvenir, un souvenir qui va se bonifier avec le temps jusqu’à, peut-être, ne plus être d’une parfaite fidélité et s’altérer. Pourtant, il ne s’agit pas non plus de dire « c’était mieux avant ». Certaines choses ne changent pas et d’autres s’améliorent. Le seul souhait qui s’exprime à travers ses lignes est le suivant : que Fire Emblem : Path of Radiance et Fire Emblem : Radiant Dawn ne soient pas condamnés à demeurer les meilleurs opus de la licence.