Rubrique

L'interview du samedi : Douglas Alves

Par didou - Le 11/02/2012 à 17:41

Douglas Alves est l'un de ces ovni du petit monde français du jeu vidéo. Plutôt inconnu du grand public, il est pourtant passé par de grandes rédactions du JV, travaille activement pour MO5.COM et est même devenu professeur d'histoire du jeu vidéo ! Il est l'une des preuves vivantes démontrant qu'une passion, à force de travail, d'investissement et de persévérance, peut devenir un gagne-pain. En attendant l'ouverture prochaine de son blog (il était temps !), vous pouvez d'ores et déjà être informés de son actualité sur Twitter (@_Adoru_), Facebook ou Google+.

Bonne lecture !

On peut dire sans exagérer que tu es un touche à tout du jeu vidéo. Peux-tu nous présenter dans les grandes lignes ton parcours plus qu’étoffé ?

Mon histoire d'amour avec les jeux vidéo commence avec une console Pong ITMC. Venant de Hong Kong, nous n'avons pas pu dans un premier temps la brancher sur le téléviseur familial du fait de l’incompatibilité des signaux vidéo PAL/SECAM. Jusqu'au jour où agacé, j'ai démonté du haut de mes 6 ans le compartiment qui permettait d’accéder en finesse aux réglages de signaux antenne UHF/VHF. Essayez d'imaginer la tête de mes parents ! Mais l'image neigeuse et mon désarroi ont eu raison de mon père qui pour me consoler me fit découvrir le monde de l'arcade. J'avais l’extrême chance de vivre pas loin d'une dizaine de salles d'arcades. Et je ne compte plus les patrons de bars du quartier qui me connaissaient ! S’ensuit la découverte avec un langage de programmation en CE1 : le Logo sur Micral, le premier micro-ordinateur vendu au grand public et de surcroît français.

Mais je pense que la rencontre décisive, tout du moins dans ma compréhension du médium fut celle avec l'Apple II. En jouant pour la première fois sur ce micro-ordinateur. J'ai réalisé que la technologie qui commençait à envahir notre quotidien était semblable. Ma console, les jeux d'arcades, les ordinateurs, les calculatrices, tout était de même nature. Quant aux jeux de rôles tournant sur cette bécane ils m'ont fait réaliser que le jeu vidéo était beaucoup plus versatile que je ne le pensais et que les thèmes qu'on allait pouvoir aborder étaient en fait beaucoup plus nombreux que ceux traités dans le jeu d'action. Ma vision venait pour la première fois de s'élargir. C'est un effort de réflexion que je conseille à vous tous. Et si j'ai défendu sa cause, aujourd'hui comme tout média il peut être utilisé à des fins de manipulation. Explorez, essayez, critiquez, réfléchissez sur vos goûts, envies et actes. Bref, soyez curieux ! Le jeu vidéo est, et j'en suis persuadé, le médium du 21e siècle. 



Le second choc fut l'achat de mon Atari ST, de la découverte des principes de création numériques et la découverte d'un monde underground fait de hackers, et créateurs. C'est là que la passion du jeu vidéo a pris le pas sur toutes les autres. Ensuite, peu de temps après avoir fait un peu de beta-test de jeu pour Delphine Software, je rencontre énormément de personnes dans le monde du jeu vidéo. L'autre point déterminant, c'est mon premier travail chez TILT alors que j'étais encore au lycée. C'est en leur présentant des jeux amateurs que je fus invité à écrire pour lui et son petit frère. Mon premier test fut Trash Rally sur Neo-Geo, et là encore, la chance vient mettre son petit grain de sel, car si je n'avais pas eu accès à cette console (très coûteuse à l'époque), rien ne dit que j'aurais pu être engagé en tant que pigiste ! J'ai ensuite travaillé pour de nombreux magazines et aussi pour la TV avec notamment Cyberflash sur Canal+.

Actuellement, tu te dis journaliste free-lance entre autres. A qui proposes-tu tes travaux et quels sont tes sujets de prédilection ?

A l'époque où le net n'existait pas et que je proposais des sujets que nul autre n'avait traité, ils demandaient un peu de persuasion pour être vendus, comme par exemple le premier dossier sur l'émulation et l'importance du patrimoine numérique dans le Consoles + de septembre 1998. Aujourd'hui, on vient plutôt me chercher ce qui est assez agréable. Le milieu professionnel du jeu vidéo est encore petit, cela aide ! Mais ce qui est aussi plaisant, c'est quand on ne dépend pas de cette activité pour payer son loyer. On peut ainsi travailler sur des dossiers de longue haleine que l'on choisit et aller à la chasse aux scoops. Je travaille aussi sur des livres. Dernièrement, le catalogue de l'exposition Game Story ou encore L'histoire de Sonic chez Pix'n Love. Actuellement, mes sujets de prédilection sont le hardware console et la conception de jeux vidéo. Mais tout m’intéresse !

Il semblerait aussi que tu sois professeur d’histoire du jeu vidéo. D’où te vient cette qualification et en quoi cela consiste-t-il ?

C'est un long processus. En 1988, je réalise vraiment avec la PC Engine que le gamedesign est la pierre angulaire d'un jeu vidéo et que tout ne repose pas sur la technique. Je commence donc à acheter de multiples machines sans distinction de puissance et à me nourrir de toute cette culture. A l'époque je jouais essentiellement en arcade et sur micro (Atari ST/Amiga). De plus, je viens de la demoscene et du milieu du jeu amateur. A l'époque la performance technique est une obsession pour tout vous dire, et le choix de la machine que l'on achète porte exclusivement sur ses capacités techniques. On peut le voir par exemple dans TILT des années 80 où l'ont dénigre les consoles en général, même la NES ! Mon activité de pigiste au sein de TILT et Consoles + me permet d'agrandir mes connaissances et je me mets à l'arcade. J'en profite pour faire un gros bisou à Banana san et à sa Kick's 91, grand merci à lui.

Quelques années après en 1996, le net arrive chez moi, les émulateurs également. Les amateurs de toutes les plate-formes partagent leur passion et leurs connaissances. C'est là que je rencontre entre autres Philippe Dubois futur président de l'association MO5.COM entre autre. Le monde du retrogaming s’étend et l'histoire du jeu vidéo me passionne de plus en plus. C'est notamment après de nombreux voyages au Japon, que je découvre qu'il y a vraiment des territoires inexplorés. Après quelques conférences pour l'association et rencontres lors des conventions retrogaming où je partage des débats enflammés, je réalise que cela me plaît vraiment de vulgariser et de démêler des fils inextricables de l'histoire du jeu vidéo. Il faut dire aussi qu'Internet est propice aux légendes urbaines et qu'il a fait autant de bien que de mal dans le domaine.



Ensuite, c'est surtout est une histoire de rencontres et d'opportunités qui fait que j'enseigne aujourd'hui l'histoire du jeu vidéo professionnellement. C'est ce qu'on pourrait appeler le destin et je pense que c'est une suite toute logique à ma carrière. Et puis quel professeur d'histoire peut se vanter aujourd'hui d'enseigner sur une époque qu'il a lui-même vécue ?

Tu fais partie depuis plus de 10 ans maintenant de l’association MO5. En quoi consiste ton rôle en son sein ?

Nous sommes bien plus nombreux que dans les débuts et où chacun d'entre nous n'avait pas vraiment de poste fixe et se chargeait de n'importe quelle tâche urgente. Je joue actuellement le rôle de spécialiste, on va dire pour simplifier que je suis l'historien de l'association. En tout cas c'est le titre qui se rapproche le plus de mes compétences.

Quelle est ta vision du Jeu Vidéo aujourd’hui ? As-tu un constructeur favori ? Et sur quoi passes-tu du temps actuellement si tu en as ?

Le jeu vidéo est loin d'avoir fini son évolution. Il y a encore une infinité de supports, de gameplay à créer. Je suis confiant en son avenir, la nouvelle génération de créateurs indépendants est stupéfiante. Ma seule peur est que le jeu vidéo devienne en partie un service et non plus un produit culturel. Mais la balle est dans le camp des joueurs. A eux de bien réfléchir à leurs décisions. Si l'argent gouverne le monde, c'est aussi en sanctionnant financièrement les choix liberticides que les compagnies et lobbys plieront. L'époque du cloud gaming a par exemple débutée. Le choix des joueurs actuels conditionnera le sort des générations de joueurs futures. Il faut bien mesurer la portée et les conséquences de nos actes et décisions actuelles. 

Cela fait bien longtemps que je ne suis plus un fanboy. Aujourd'hui, je ne lutterai pour défendre aucun constructeur en particulier. Mais plutôt pour que le rapport de force se maintienne et qu'un certain équilibre perdure. Cela ne peut nous être que profitable. Niveau jeu vidéo ? Tout ce qui peut me tomber sous la main ! J'ai une moyenne d'essai d'une vingtaine de jeux par semaine. Retrogaming, jeux indépendants ou gros blockbusters, tout m’intéresse. Comme tout sportif, je dois garder la forme :D Mais comme je suis extrêmement difficile, peu arrivent à me tenir en haleine.

Que penses-tu de la 3DS et quelle est ton opinion sur la Wii U ? Qu’en attends-tu ?

Je n'ai pas encore été séduit par la 3DS et j'attends avec impatience qu'un nouveau modèle se dévoile. Et plus sérieusement, heureusement que la 3DS est plus puissante qu'une DS, la 3D ne m’intéressant pas, j'ai beaucoup de mal à l'apprécier. Mais je craquerai certainement quand il y aura plus de jeux, et je vous avoue cela commence à me travailler. Cela sera certainement mon prochain achat. La logithèque commence à s'étoffer, et la concurrence de la PSVita et des smartphones a du bon. 

Pour la Wii U, si je ne prends en compte que le gameplay, je suis extrêmement impatient d'essayer des concepts multijoueurs utilisant la tablette, et les wiimotes. A l'époque de la Dreamcast j'attendais beaucoup des VM. J'espère qu'aujourd'hui, le marché et les développeurs sont assez murs pour proposer des innovations qui attendent depuis des années dans la grande armoire des idées du monde des jeux vidéo. 

Au niveau de son succès je m'avancerai moins, Nintendo à un gros défi à surmonter. La première difficulté concerne le prix de sa nouvelle console. D'un côté, ils veulent être premiers sur la prochaine génération mais le fait de proposer une tablette en standard conditionne certains de leurs choix technologiques. Elle pourrait être la plus onéreuse des consoles Nintendo n'ayant jamais existé si la tablette conserve le multi-touch que certains kits de développement proposent. Ensuite, il va falloir que Nintendo communique de façon exemplaire sur la Wii U, il faut à tout prix éviter l’écueil sur lequel ils se sont brisés lors du précèdent E3. Et du côté jeu, il leur faut aussi absolument du sang neuf. Je veux absolument que Nintendo nous sorte un jeu révolutionnaire, ou un jeu sublimant tellement un genre qu'il en deviendra instantanément une référence, comme le fut Mario en son temps. La firme de Kyoto a du pain sur la planche !

Quelque chose à ajouter que nous n'aurions pas abordé ?

Adhérez à l'association MO5.COM ! Nous avons vraiment besoin de vous. Pour qu'un Musée national du jeu vidéo puisse enfin naître en France, votre soutien est indispensable. Pour le reste on verra lors de ma prochaine interview. ;)