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Pokémon Épée et Bouclier : La régression par l’innovation

Par Mimir - Le 14/12/2019 à 18:00

Si notre test de Pokémon Epée et Pokémon Bouclier a été rendu il y a plusieurs jours de cela dans nos colonnes, force est de constater que la 8ème génération de la licence de Game Freak ne fait pas l'unanimité malgré les étonnants scores de vente. Focus donc aujourd'hui sur quelques-uns des points qui ont fâché les joueurs avec la licence Pokémon, servi par votre serviteur Mimir.

21 hivers au compteur, et elle est toujours là. La licence Pokémon a plus que traversé les âges et les frontières. Aujourd’hui encore, les monstres de poche rencontrent le succès à travers le monde, se hissant sans mal et sans conteste parmi les licences les plus connues, emblématiques et lucratives du jeu vidéo. Les premiers chiffres de vente des opus fraîchement sortis en témoignent : pas moins de 7 millions de copies de Pokémon Épée et Bouclier se sont écoulées dans le monde en une semaine, tombant entre les mains des nouvelles générations, et de celle, un peu plus âgée, qui a découvert la licence à ses premières heures.

Une longévité qu’elle doit à son concept : capturer des créatures plus originales les unes que les autres. Ou, dis plus simplement « Attrapez-les tous », trois mots dignes des plus grands slogans de l’histoire des slogans. Pour preuve, 20 ans après, il existe et persiste, même si tous les attraper est devenu on ne peut plus compliqué au fil des années, et pas seulement à cause du nombre grandissant de Pokémon. Le défi est tout bonnement irréalisable dans Pokémon Épée et Bouclier. Est-ce pour autant un mal ? Aux yeux de beaucoup, oui, et certains, dans les termes les plus édulcorés, n’hésitent pas à parler de régression. Et pourtant, en réduisant le nombre de créatures capturables dans ces dernières versions, Game Freak a sans doute pris la meilleure des décisions… et peut-être même la seule.

Qu’on le veuille ou non, Pokémon, ce n’est pas qu’une histoire de captures et de combats. On ne reviendra donc pas sur ces éléments, pas plus que sur les différents scandales qui ont précédé la sortie du jeu. On ne reviendra pas non plus sur l'aspect technique, là aussi décrié, ou sur les grands absents comme les Méga évolutions, Capacités Z et compagnie… Pas plus que nous ne reviendrons sur les fonctionnalités en ligne décevantes, faisant du moindre échange de Pokémon un véritable parcours du combattant.

Non. Nous nous contenterons d’observer ce qui faisait de Pokémon ce qu’il n’est plus aujourd’hui, et par extension ce qui a déprécié l’aventure solo.

* Petite note : il ne s’agit pas de dire « c’était mieux avant », mais simplement de s’en tenir aux faits sans (trop) d’interprétation.

L’histoire avec un(e) petit(e) h(ache).

Et nous parlons bien d’aventure, de l’inconnu, du surprenant, parfois de l’étrange, de ces histoires qui s’écrivent au fil de nos pas et s’imbriquent les une aux autres, mêmes les plus anecdotiques. Des histoires qui donnent à chaque lieu un intérêt tout particulier…

Or, quelle histoire peut revendiquer Pokémon Épée et Pokémon Bouclier ? Quel souvenir le joueur garde-t-il de son aventure ? Quel moment l’a-t-il interrogé, interpellé, intrigué ?

Un président et une assistante aux motivations aussi mystérieuses qu’insipides ? Une Team Yell dont le seul intérêt est de cantonner le joueur à une zone bien précise ? Un défi des arènes finalement assez banal en plus de sonner faux ? Ou bien encore deux Pokémon mystérieux, l’un avec une épée, l’autre avec un bouclier, si maladroitement exploités que le tout est expédié à la fin d’une manière somme toute grotesque ? Il faut s’y résigner, les heures de jeu ne changeront pas le premier ressenti : Pokémon Épée et Bouclier sont creux. Ils sont vides, dénués de toute étincelle et tout intérêt. Rien est raconté aux joueurs malgré le nombre accablant de cutscene qui tombent comme un cheveu sur la soupe, de quoi affliger chaque joueur d’une calvitie précoce. Tout un paradoxe. Preuve, s’il en fallait, que la quantité n’est pas gage de qualité.

Et qu’il s’agisse du rival n° 1, 2 ou 3, de la scientifique, du frère du rival n° 1, du Président visionnaire, ou bien de l’ennuyeuse Team Yell, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Ces personnages et mises en scène bancales ne sont que de grossiers prétextes pour tenir le joueur par la main et l’enfermer. Ainsi, il n’est jamais seul. Où qu’il aille, quoi qu’il fasse, quelqu’un sera toujours là pour lui dire où aller et pourquoi. Et pourtant, jamais nous ne nous sommes sentis aussi esseulés dans un jeu Pokémon, alors même que, faut-il le rappeler, nous faisons la route en parallèle avec notre rival n° 1. Nous parlons bien de celui qui nous précède ou nous succède de 10 secondes sur chaque lieu, de celui que l’on suit ou qui nous suit comme notre ombre… sans jamais rien faire ensemble ou presque.

Pire encore, tous ces PNJ nous empêchent de nous aventurer à notre guise, comme s’il y avait matière à se perdre dans une ligne droite. Les CS avaient le mérite (et c’était bien le seul), de remplir la même fonction avec plus de discrétion. Et au moins, l’arbre ou la cascade ne nous servait pas de vive voix un prétexte ridicule.

Ce choix est d’autant plus étrange que l’heure est à l’ouverture dans les jeux, et ceux qui tendent à rester cloisonnés le font pour raconter une histoire cohérente et, généralement, riche. Or, ici, nous avons une carte étroite et fermée qui ne sert aucun scénario un tant soit peu digne d’intérêt.

Résultat, toutes ces interventions inopportunes nuisent à l’aventure. Elles enchaînent le joueur à une trame inexistante et lui donne le sentiment de n’avoir le contrôle sur rien, alors même qu'on lui demande son avis sur tout. Une façade qui s’effrite bien vite tant on se sent peu impliqué dans une multitude de non-évènements que l’on tente de nous présenter comme capitaux. Pour couronner la médiocrité, le peu de scénario qui se concrétise sur la fin apparaît comme parfaitement absurde.

Certes, la série n’a que rarement brillé par sa trame mais, au moins, elle ne se contentait pas de placer des points d’interrogation qui n’interrogent personne, pour, au final, nous sortir un point d’exclamation si étiré qu’il en finit par plier.

L’identité pas très heureuse.

Et même si Pokémon n’a jamais transcendé qui que ce soit via son fil rouge, chaque joueur a toujours en tête des versions bien particulières qui ont réussi à se démarquer des autres. Que ce soit les versions Noire et Blanche, ou encore Rubis et Saphir, alias les meilleures versions (de l’eau juste comme il faut !), qui racontaient une histoire du début à la fin, sans intervention superflue. Même les rivaux et autres PNJ avaient plus de mordant et d’intérêt que ceux servis dans Pokémon Épée et Bouclier : Jean-peux-plus.

Cela était d’autant plus vrai que, sans même aborder le thème au cœur du jeu, chaque ville avait (souvent) sa propre histoire ou sa petite particularité qui la rendait unique, bien au-delà de ses apparences. Certes, Pokémon Épée et Bouclier ont des villes identifiables au premier coup d’œil, car chacune dispose d’un thème plus ou moins marqué. Elles ne sont pas vilaines, certaines sont même plutôt originales (mention spéciale aux champignons luminescents), mais que racontent-elles individuellement que ne font pas les autres ? Rien, et cela pour une raison précise.

Les villes, si « grandes » puissent-elles être, ne sont qu’un prétexte. Un prétexte au défi des arènes qui nous conduit de ville en ville sans jamais nous inciter à nous attarder dans l’une d’elles. Nous y allons pour l’arène, nous repartons une fois l’affaire faite. Au final, nous les oublions aussi vite que nous y restons. Conclusion, elles sont à l’image de l’histoire qu’elles servent (desservent ?) : creuses. Prenez un centre Pokémon, un salon de coiffure et une boutique de vêtements, tracez trois routes, casez-y quatre à cinq maisons qui ne sont que des copiées-collées intégral les unes des autres, placez-y une arène au centre, et vous recréez ainsi l’ensemble des villes du jeu qui apparaissent soudain bien artificielles.

Une faute d’autant plus impardonnable que même les premières versions, sorties il y a 20 ans, n’avaient pas commise. Dans Pokémon Rouge et Bleu, et ce malgré des visuels quasi conformes, chaque ville avait sa petite particularité, ce petit point d’intérêt qui interrogeait la curiosité du joueur et lui conférait une identité propre. Jadielle et son champion étrangement absent. Argenta et son musée. Azuria et le Pont Pépite, Léo, le cambriolage. Lavanville et son cimetière. Safrania et la Sylphe SARL tombées aux mains de la Team Rocket. Carmin sur Mer et l’Océane. Celadopole, son centre commercial et le casino où plane l’ombre de la Team Rocket. Parmanie et le Parc Safari avec le sans dents. Cramois’île et le Manoir Pokémon…

Ce sont ces histoires dans l’histoire, celles auxquelles on ne prête pas attention mais qui sont bel et bien là, qui donnaient son sens à l’aventure solo. Et tout cela a été balayé d’un revers de code par Pokémon Épée et Bouclier, qui, en voulant faire les choses en grand, en ont été réduits à être petits sur tout.

L’aventure dans un petit tas.

Conséquence malheureuse, ce qui faisait l’intérêt de l’aventure solo et incitait les joueurs à avancer, au-delà de la capture des petits monstres, a été littéralement balayé. Qu’est-il advenu du gamin qui, avec son premier Pokémon en poche, ses 5 Poké balls, et ses quelques Pokédollars, quitte son chez-soi pour découvrir le monde et se faire découvrir par lui ?

Peu de choses car, hormis les créatures, plus rien est à découvrir, la faute à une ambition d’ouverture qui n’a fait que cloisonner un monde. Un chemin initié depuis Pokémon Soleil et Lune, dont Épée et Bouclier sont les dignes successeurs. Les donjons ont purement et simplement disparu. Ces dédales d’une autre époque qui aurait tout gagné à être amélioré pour les porter à un niveau supérieur ont été tout bonnement supprimés du jeu. Plutôt que de réviser la formule, Game Freak a préféré enterrer les souterrains et les bâtiments labyrinthiques qui mettaient le joueur à l’épreuve, si bien que plus rien, autre que les arènes, ne vient ponctuer une aventure morose.

Le sacrifice ne s’est pas limité là, mais s’est propagé jusque sur les routes. Rachitiques, peu nombreuses, sans reliefs et sans surprises, elles ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient, et cela se remarque dès la première route : une ligne droite, avec sur sa droite une boucle qui relie chacune de ses extrémités. Un choix de level design d’autant plus désolant qu’il en est grotesque, une pirouette des développeurs pris au piège de l’écriture de leurs premières minutes de jeu. Digne d’un autre temps.

La faute aux terres sauvages, cette grande étendue plate, vide et sans secret qui coupe la région de Galar. Un fourre-tout à Pokémon, un moyen comme un autre de faire rentrer dans un jeu aussi étriqué plus de 400 créatures. Alors comment 900 auraient-elles pu s’y glisser ?

À l’image du reste du jeu, ces terres accusent un retard conséquent, et pas seulement technique, au regard de ce qui se fait ailleurs. Un retard qui ne saurait être pardonné qu’à de rares licences, dont Pokémon. Il n’y a rien à découvrir dans ces terres rigides et pauvres de tout génie, si ce ne sont des créatures entassées les unes sur les autres qui apparaissent et disparaissent au gré d’une météo anarchique. Aucune rencontre n’est à y espérer, aucune interaction, si ce n’est secouer un arbre pour y ramasser des baies.

En définitive, ces terres, qui auraient dû être un véritable appel à l’aventure, n’ont de sauvage que le nom. Faut-il espérer pour le futur un monde entrouvert digne des temps modernes ? Nul ne le sait, mais espérons que Game Freak ait conscience de son œuvre.

Le mot de la fin.

Pokémon Epée et Pokémon Bouclier ne sont pas de mauvais jeux, loin de là, mais ils sont fades. Tout n’est que prétexte, et tout sonne artificiel. Une histoire qui ne raconte rien et enferme le joueur sur le sentier de l’ennui, des histoires qui n’existent pas, des villes creuses dénuées de tout intérêt, des PNJ qui nous persécutent de leur présence permanente, et enfin une aventure évaporée. Le sentiment d’être seul pour affronter le monde entier s’est éteint. Aujourd’hui, nous sommes seuls entourés de tout le monde.