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[Interview] William Audureau, "Sur les traces de Miyamoto"

Par Shadowdeath - Le 09/08/2014 à 15:53

« Sur les traces de Miyamoto », c'est avant tout le résultat d'un travail conséquent constitué d'un grand nombre d'investigations journalistiques. Comme son nom l'indique, l'ouvrage traite des premiers pas, dans le domaine de l'industrie du jeu vidéo, de l'homme qui est de nos jours considéré comme la grande référence de la conception vidéoludique : Shigeru Miyamoto. L'œuvre de William Audureau relate avec une grande minutie les éléments qui ont fait du créateur de Mario un prodige du game design.

On serait tenté de croire que Shigeru Miyamoto était prédestiné à accéder à de tels sommets, or ce livre montre qu'il n'en est rien. Au travers d'un récit initiatique, on découvre le parcours brillant et parfois laborieux d'un jeune étudiant farfelu originaire du village nippon de Sonobe qui, la tête dans les nuages, se lance à la conquête d'une vocation artistique.

Nintendo-Master.com a le privilège de s'adresser à l'auteur du livre intitulé « Sur les traces de Miyamoto » pour une interview exclusive. William Audureau est déjà à l'origine de l'œuvre « L'Histoire de Mario », une rétrospective pour laquelle il avait déjà honoré le site de ses réponses dans une riche interview que vous pouvez redécouvrir en cliquant ici.

Nintendo-Master : Décidément ! Il y a quelques années c'était Mario, à présent, c'est de son papa qu'il s'agit. Pourquoi, ressentiez-vous le besoin de concevoir cette impressionnante rétrospective sur l'œuvre et la vie de Shigeru Miyamoto tandis que vous aviez déjà traité de son produit phare auparavant ? Considériez-vous que « L'Histoire de Mario », bien que visant l'exhaustif, n'avait pas rassasié l'appétit du journaliste gamer dévoreur d'intrigues que vous êtes ? « Sur les traces de Miyamoto », est-il le fruit d'une frustration perfectionniste ?

William Audureau : Frustration perfectionniste, le terme est sans doute un peu fort, mais dans ce cas précis, vous avez en grande partie raison, dans la mesure où ce livre est né d'un chapitre de "L'histoire de Mario" dont je n'étais pas satisfait, et que j'ai mis de côté pour le développer. Fondamentalement, il y a une raison simple : j'avais l'impression de raconter ce que toute monde savait déjà, ou pouvait déjà lire. Quel intérêt ? Sans doute par déformation professionnelle, ce qui m'intéresse, c'est d'éclairer des zones d'ombre. C'est ce qui m'amuse dans l'idée d'écrire sur le jeu vidéo au Honduras sur Gamekult, dans celle de rédiger un mémoire d'histoire économique comme Pong et la mondialisation, qui traite d'une période obscure et rarement abordée, et donc dans cette biographie de Miyamoto, où j'ai essayé notamment de documenter son itinéraire intellectuel, ses études et ses débuts, qui me semblaient méconnus.


Nintendo-Master : Une chose stupéfiante dans le livre est la capacité que vous avez à retranscrire certains lieux et environnement dans lesquels évolua Shigeru Miyamoto à plusieurs étapes de sa vie, et ce, avec une authenticité et une passion remarquable. Citons les paysages de Sonobe ainsi que ses monuments historiques, ou encore certains lieux de Kyoto qui eurent un rôle dans sa vie étudiante. Pour ce qui est de l'ancienne Sonobe, dont certains lieux bucoliques furent la source d'inspiration du game designer pour certains de ces titres, vous indiquez dans le livre que vous vous y êtes rendu. Lorsque vous y étiez, ces lieux étaient-ils empreints d'un magnétisme particulier du fait que Miyamoto y vécut pour un temps ? Comment vous y sentiez-vous ?

William Audureau : Alors il faut savoir que mes amis adorent me reprocher ces chapitres, qui sont d'un lyrisme auquel je ne les ai pas habitués ! Plus sérieusement, c'est un sentiment très étrange, assez schizophrénique, celui d'être à la fois un journaliste en reportage qui arrive au cœur de son sujet (c'est un des présupposés du livre en tout cas), et une caravane de souvenirs d'enfants qui arriveraient sur une terre que des décennies de jeu vidéo invitent à sacraliser. Notez que je ne dis absolument pas qu'il faut sacraliser Sonobe. Mais ça m'amuse et m'attendrit de me dire qu'adolescent, je l'aurais fait, j'aurais considéré ce petit village japonais comme une Mecque, et c'est quelque chose que je n'ai pas toujours réussi (ni cherché) à gommer dans le livre. En tout cas, c'était un moment singulier, très grisant, et beaucoup plus solitaire et introspectif que je l'aurais imaginé. Je me sentais vraiment comme un journaliste avec des yeux d'enfant, parfois malgré moi, et c'est une expérience étonnante à vivre. J'en garde un excellent souvenir en tout cas.


 

Nintendo-Master : En vous lisant parfois, l'on se dit qu'en réalité, ce n'est pas Miyamoto qui aurait dû se trouver là, à ce poste éminent. Ayant dû s'y prendre à deux reprises pour accéder à l'Université de Kanazawa, arrivé chez Nintendo par piston, peu intéressé par les jeux vidéo au départ, pas si bon que ça en dessin, peu ponctuel... Bref, beaucoup de lacunes au départ pour un si grand homme au bout du compte. Comment, avec de telles lacunes à base, on parvient à devenir Shigeru Miyamoto ?

William Audureau : C'est amusant que vous posiez cette question, car une des questions qui m'a obsédé durant l'écriture, c'est : "comment devient-on un grand homme ? Quelle est la part du talent ? De la chance ? Du travail ? Voire de la mythologie qui peut se créer a posteriori autour d'un homme ? Dans le cas de Miyamoto, par exemple, parler de lacunes est sans doute excessif, sachant que le métier de jeu vidéo est tellement artisanal à ses débuts que les prérequis sont faibles. Mais c'est vrai que Miyamoto n'est pas un jeune premier, plutôt un garçon engagé dans une carrière un peu quelconque. D'ailleurs, je ne sais pas si ça se remarque à la lecture, mais il y a un mot que je me suis interdit d'utiliser : "génie". Je n'y crois pas et ne veux pas y croire. Pour autant, c'est aussi quelqu'un d'à la fois ambitieux, exigeant, astucieux, et très soucieux de réussir à plaire à travers ses produits. C'est aussi quelqu'un qui a un attachement profond à son enfance, et a su en tirer une sorte d'expertise quasi scientifique de l'émerveillement. Il y a ainsi de nombreux traits de caractère, couplés à sa formation intellectuelle, un cadre professionnel favorable et des rencontres fécondes, qui lui ont permis de devenir un chef de projet plus habile que d'autres.


Nintendo-Master : Le livre est également décrit comme un recueil d'informations tirées d'une multitude d'interviews données par le game designer au fil des années. Ces interviews n'étaient certainement pas toutes traduites en français. Comment s'est effectué ce travail de retranscription, matérialisé dans le livre par des illustrations textuelles qui en citent des passages ?

William Audureau : C'est simple : une inscription en faculté pour apprendre les rudiments du japonais, et des coups de fil aux amis pour les langues que je ne maîtrise pas, comme l'allemand et le suédois. Concernant les nombreuses interviews en japonais, j'ai eu la chance d'étudier à l'INALCO, où le corps enseignant a été exceptionnel. Plusieurs professeurs - et notamment un - m'ont apporté une aide inestimable dans la traduction de certains textes. Je leur suis redevable, sincèrement. Ce livre porte un seul nom mais je n'aurais jamais pu le faire seul.

Nintendo-Master : En 2012, il semblerait que vous ayez eu le privilège de rencontrer le légendaire protagoniste de votre ouvrage. Tout le monde rêve de vous demander en quoi a consisté cette entrevue ! Avez-vous pu échanger a propos du livre, de manière à pouvoir vérifier la véracité de certaines anecdotes par exemple ?

William Audureau : Cette interview est consultable sur 01net et Gamekult ! C'était dans le cadre de la sortie de la Wii U, donc les questions biographiques n'étaient pas au programme, même si je n'ai pas pu m'empêché d'en poser une ou deux sur la carrière de M. Miyamoto, d'autant qu'il venait de recevoir le prix Princes des Asturies en Espagne. Pour le reste, j'ai eu la main moite et la voix tremblante, j'ai mal géré mon temps, posé un centième des questions que j'avais prévues et improvisé des questions idiotes, bref, un grand moment de maîtrise :D il paraît qu'il a trouvé que l'interview était "originale". Je m'en satisfais !

Nintendo-Master : Vous nous apprenez dans le livre que Shigeru Miyamoto est un passionné de manga. A ses débuts, il a souvent souhaité que ses travaux tendent vers l'essence du manga. Pensez-vous qu'il a finalement abouti à ce dessein ? Peut-être même a t-il transcendé ce genre qui le fascinait tant ?

William Audureau : Le manga et l'animation, oui : les deux sont d'ailleurs liés intimement. Difficile de ne pas lui reconnaître cette réussite : il a réussi à introduire dans le jeu vidéo des personnages reconnaissables, une approche plus narrative, un humour et un sens du mouvement qui ont été les marques des jeux Nintendo - même s'il n'était pas le seul à y œuvrer.

Nintendo-Master : Le sous-titre du livre est « 1952-1986 : De Sonobe à Hyrule ». Pourquoi s'être cantonné à cette période de la vie du game designer ?

William Audureau : Honnêtement ? Par manque de temps et de place, tout simplement ! Ce n'était pas prévu ainsi, mais j'avais probablement sous-estimé la richesse de la carrière de M. Miyamoto et surtout la place nécessaire pour traiter de sa vie comme je l'entendais.

Nintendo-Master : A l'issue de ce travail de recherche, y a t-il une qualité de Miyamoto qui vous aura davantage marqué que les autres ?

William Audureau : Bonne question. Je crois que j'ai surtout été marqué par sa volonté, ce mélange d'orgueil, de perfectionnisme, d'entêtement qui pourraient passer pour des défauts chez n'importe qui, mais sont je crois l'un des principaux ressorts de son succès. Miyamoto est quelqu'un qui n'abandonne pas et ne se satisfait jamais. 


Nintendo-Master : Un nouveau projet sur le feu ? De nouvelles ambitions d'écrivain ?

William Audureau : Je n'ai pas la prétention de me considérer comme un écrivain, je vous rassure. Je tente quelques figures de style et je me fais chambrer par mes amis, donc je compte bien rester à ma petite place de journaliste ! En revanche, il faut maintenant que je trouve le temps d'écrire la suite de la biographie de M. Miyamoto. D'autres projets, je n'en manque pas, mais j'ai facilement tendance à m'éparpiller, alors je vais me concentrer sur celui-ci pour l'instant.