Nintendo Wii

Pandora's Tower

Test Wii

Pandora's Tower

Par everred - Le 11/07/2012 à 16:59

Même si sa situation s'est améliorée au fil des années, l'Europe est encore souvent le continent oublié dans le milieu du jeu vidéo. Sans cesse méprisée pour d'obscures raisons mercantiles, ses habitants pourtant très au courant de l'actualité, doivent toujours trop souvent se résigner à faire une croix sur bon nombre de titres, condamnés à ne jamais quitter le Japon. Toutefois, prenant le contre-pied des suppositions les plus réalistes des joueurs, Nintendo, après avoir fait jeûner les possesseurs de Wii pendant de longs mois, s'est risqué à annoncer en Europe la sortie de Xenoblade, The Last Story, et du mystérieux Pandora's Tower. Véritable triptyque sur le thème du jeu de rôle, les Européens avaient alors pu se retrouver respectivement face à un premier titre excellent puis face à un deuxième, déjà moins réussi. C'est donc empli d'une certaine appréhension qu'on entame le dernier soft de cette épopée, Pandora's Tower, en se demandant si sa sortie sur le vieux continent est aussi salutaire que miraculeuse ou bien s'il n'aurait pas mieux fait de rester au Japon, ce qui lui aurait permis d'être mondialement auréolé par la gloire de son semi-échec commercial et par les chants alors forcément élogieux de quelques Homère d'opérette faisant fonctionner le business de l'import et de feu Megaupload.

 

Imaginez une seconde que votre copine, mignonne et par la force des choses obligatoirement un poil cruche (il semblerait que l'inconscient collectif japonais considère cette précision comme tautologique), se transforme, un beau jour, sans raison apparente, en monstre suintant et visqueux qui rappellerait aux connaisseurs discrets, les plus affolants mangas pour public adulte. Voilà le point de départ de l'histoire d'Aeron, chevalier servant efféminé mais beau gosse, et de sa fiancée Elena, fille fragile, chanteuse à ses heures perdues puis accessoirement créature répugnante lorsque sa malédiction reprend le dessus. D'une certaine manière, on touche à une petite spécialité Japonaise souvent réussie : le kawaii qui côtoie le trash est une formule qui a maintes fois fait ses preuves. L'originalité vient ici du fait que le kawaii et le trash sont matérialisés dans la même personne. Évidemment, incapable de se contenter de cet état de fait invivable, Aeron cherche à guérir sa dulcinée par tous les moyens envisageables et tandis qu’ils sont poursuivis par l'armée, Mavda, une vieillarde au design tant génial qu'inquiétant, vient vous secourir et vous offre gracieusement son aide dans la lutte contre la malédiction qui pèse sur les épaules d'Elena. La recette miracle ? Les cœurs des gardiens des 13 tours qui surplombent la Brèche, gouffre béant et inhospitalier qui sert de cadre à vos péripéties.

Ainsi, Mavda après avoir briefé notre couple sur sa situation, le guidera à l'Observatoire, maisonnette charmante postée en retrait des tours. En pratique cette zone servira de hub dans lequel vous pourrez reposer votre corps fatigué, réparer ou acheter des équipements mais aussi et surtout discuter avec la belle maudite. C'est donc de là que le joueur peut choisir le donjon qu'il veut partir explorer. Assurément, c'est dans ces derniers qu'on passe le plus de temps, même si la structure du jeu force à faire de nombreux allers retours entre les deux lieux, mais nous y reviendrons plus bas. Le principe des donjons est déjà bien connu par les habitués des Zelda. Jeté dans un imposant lieu clos, il faut se frayer un chemin jusqu'au boss, ici protégé derrière une porte scellée par d'énormes chaînes à détruire pour progresser. Pourtant, ces donjons sont très différents du modèle dont ils s'inspirent, ils sont largement plus linéaires et en arriver à bout ne demande pas de brancher ses neurones en réseau local afin de les rendre plus performants. Les temples de Majora's Mask vous avaient donné de l'urticaire ? Vous pouvez souffler, les énigmes à proprement parler sont vraiment rares dans Pandora's Tower et se perdre tiendrait de l'exploit. Il ne faut pas irrémédiablement y voir là une faiblesse, plutôt un choix de gameplay. En effet, tout est bien plus porté sur l'action : on progresse d'avantage à grands renforts de coups d'épée que d’éjection de scarabée téléguidé. D'autre part, il est impossible de s'éterniser dans les donjons car vous devrez régulièrement rapporter de la chair extraite de vos adversaires avec votre chaîne à Elena afin de retarder sa transformation qui progresse en temps réel. On ne peut qu'imaginer à quel point cela aurait été rageant dans ces conditions de ne plus savoir où aller, coincé dans un interminable labyrinthe pour rapporter un malheureux steak... Cependant, il y a une contrepartie : il est frustrant de voir que chaque donjon met en place une idée de gameplay distincte qui du coup aurait pu être encore plus exploitée.

La chaîne qui accompagne partout Aeron ne sert pas uniquement à progresser dans les donjons en guise d'objet de quête unique et polyvalent. Cette polyvalence en question se manifeste surtout dans les combats. Car en plus d'une arme principale, une épée longue ou encore des sortes de dagues-griffes, vous pouvez également vous servir de la chaîne, et ce avec une efficacité redoutable. En premier lieu, il faut accorder un bon point aux développeurs qui ont eu la lumineuse idée d'inclure plusieurs types d'armes, ce qui permet de varier les combats. Ensuite, notons que la façon dont s'utilise la chaîne est très astucieuse. On peut à la fois s'en servir pour infliger des dégâts aux monstres, ou les handicaper. Le héros pourra par exemple ligoter un ennemi et le faire tourner autour de lui comme une masse d'arme géante en vue abattre ceux qui l'entourent. Dans un autre registre d'idées, pour se débarrasser rapidement de deux ennemis, rien de plus mortel que de les lier entre eux avec la chaîne puisque dans ce cas, les dommages infligés au premier passeront automatiquement au second. En combat, les possibilités sont légions. En revanche, deux soucis terniront assez fréquemment vos joutes. Tout d'abord la wiimote montre cruellement ses limites, le pointeur est lent, guère fluide et n'est pas exempt d'erreur lors de la reconnaissance de mouvements particuliers. En outre, la caméra est fixe dans la plupart des salles et il n'y a pas de lock à proprement parler, par conséquent il arrive que l'on se retrouve à frapper à côté de la plaque ou carrément que l'ennemi sorte de notre champs de vision pour aller se promener ailleurs, auquel cas, taper « au pif » semble être, à défaut d'en être une bonne, la meilleure solution.

Il faut dire, par-dessus le marché, que l'espèce de filtre qui sert de flou artistique permanent sur toutes les textures est réellement agaçant et n'aide pas à toujours situer correctement tous les éléments qui apparaissent à l'écran. On en vient même à se demander quel moteur graphique a bien pu choisir Ganbarion pour nous pondre un rendu technique aussi peu séduisant. Les textures sont assez grossières, les détails passent complètement à la trappe à cause de cette saleté de flou (si vous espériez pouvoir distinguer le visage du héros in game, c'est rappé), et le plus surprenant, c'est que malgré la taille modeste des environnements le jeu n'affiche absolument jamais 60 images par secondes. Plus gênant encore, le côté artistique pêche par son manque d'originalité. Le bestiaire se renouvelle très très peu et hormis les Boss – qui pour le coup sont réussis – les monstres sont plutôt quelconques. Le look de Mavda est génial, rien à redire, mais pourquoi diable Aeron et Elena sont-ils affublés d'un character design aussi anodin ? Et puisqu'on en est là, autant poser directement la question : quel besoin y avait-il de nous montrer les passages où cette dernière mange sa chair de monstre ? Mettre le spectateur mal à l'aise et montrer que progressivement elle n'est plus aussi dégoûtée par son macabre festin ? L'humble auteur de ces lignes se permet d'en douter car il lui a semblé que toutes ces scènes étaient plutôt évocatrices de tout ce que des décennies de censure sur l'industrie du porno au Japon auraient pu produire de plus déviant et douteux. C'est comme si les développeurs s'attendaient à voir leur production nous confiner au plaisir sadique de regarder une pauvre fille manger de la viande pourrie en crachant, toussant et gémissant à chacun de ses gestes. Charmant.

Si en premier lieu, l'ambiance du jeu pourrait laisser croire à un pitch minimaliste tout tourné vers l'interprétation personnelle comme avait su intelligemment le faire Shadow of the Colossus, on se rend compte qu'il est en réalité bien plus complexe et scénarisé. C'est simple, entre les différentes références au background mouvementé du monde dans lequel on évolue et le scénario qui progresse de façon surprenante, on est loin des modèles de non-narration instaurés par la Team Ico. Et justement, c'est un petit peu le problème de Pandora's Tower : sa narration, certes originale, est assez déconstruite ce qui a pour conséquence de rendre la trame inutilement désagréable à suivre. Certes, à terme celle-ci prend une ampleur insoupçonnée et franchement intéressante mais je persiste à penser que le prix à payer demeure lourd et que pour une œuvre qui se revendique presque poétique, il a une approche un brin trop didactique. Par ailleurs était-il indubitablement nécessaire que Ganbarion nous démontre en permanence sa faculté à repousser toujours plus loin les frontières de la mièvrerie ? Effectivement, s'il y a certainement un reproche à noter dans Pandora's Tower, c'est sans aucun doute sa remarquable niaiserie qui ne parvient pas à émouvoir un seul instant et qui vérole toute l'ambiance glauque que le soft tente de faire valoir. Conséquence, même les très respectables sélections musicales de l'équipe en charge et les compositions originales, pourtant correctes dans l'ensemble, paraissent limite pompeuses couplées à cette véritable ode au mauvais goût qui jaillit de toutes parts.

Pour ne pas rester sur des notes trop négatives, signalons au demeurant que le jeu comporte aussi son lot de bonnes idées, notamment un système de craft et d'améliorations d'armes comme d'armures vraiment prenant. Que ce soit à des endroits spécifiques ou bien sur des ennemis, vous pouvez récupérer différentes ressources qui serviront à préparer les nombreuses recettes que proposeront Mavda et son mari. A leur boutique, vous pourrez d'ailleurs acheter un certain nombre de présents destinés à Elena ce qui influencera ses relations avec vous et permettra dans l'idéal d'obtenir différentes fins. Le côté plaisant de la chose, c'est que les effets ne sont pas uniquement visibles qu'à la fin du jeu : elle utilisera immanquablement vos cadeaux en décorant l'Observatoire qui risque donc de devenir un lieu absolument ravissant avec un peu de bonne volonté. Pour finir, signalons que la durée de vie de plus de 20 heures est tout à fait honnête et que son New Game + sincèrement efficace peut largement relancer son intérêt pour peu que vous ayez apprécié de parcourir la Brèche.

6
L'expérience que propose Pandora's Tower s'affirme en deux catégories bien distinctes, sa dimension ludique d'une part et son récit, qui fait la part belle à l'exaltation des sentiments, d'autre part. L'anicroche découle alors de la difficulté à faire abstraction de celui-ci si vous êtes hermétique à son injurieux lyrisme boursouflé. Néanmoins, si nous ignorons ces dissensions sur le pathos à la réussite discutable du travail de Ganbarion, que lui reste-il alors ? Une formule mathématique que je me vois un peu gêné d'appliquer froidement ici : de vraies qualités et de bonnes idées mais surtout un grand nombre d'aspects liés autant à la plastique qu'à la souplesse de la jouabilité qui manquent réellement de finition. Au final, il serait préférable de jauger votre sensibilité personnelle avant d'engager le porte-monnaie, car si un rien vous émeut, vous pouvez allègrement ajouter 2 points à la note ici décernée, sinon, l'aventure est fortement déconseillée car vous en sortiriez, au bas mot, irrité.

  • Système de craft ingénieux
  • Durée de vie plus que correcte
  • Un new game + qui ne se contente pas du minimum
  • De bonnes idées de gameplay
  • L'Observatoire pittoresque
  • Scénario bien pensé...
  • ..Mais servi par une narration un peu lourde
  • Caméras gênantes
  • Niaiserie qui supplante le sordide
  • Character design trop convenu
  • Manque d'inspiration pour le design des tours
  • Reconnaissance de mouvement pas toujours au top
  • Maniabilité assez rigide.
  • Technique médiocre
  • Certaines scènes avec Elena dont la finalité laisse perplexe.